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Immigration

Tamanrasset, sur le chemin du rêve européen

L’une des pistes d’entrée sur le territoire algérien passe par l’ouest de la frontière. Direction Silet aux portes de Tamanrasset.(Cartographie: SB/RFI)
L’une des pistes d’entrée sur le territoire algérien passe par l’ouest de la frontière. Direction Silet aux portes de Tamanrasset.
(Cartographie: SB/RFI)
Ce sixième et dernier volet du carnet de route de Serge Daniel, qui a partagé le périple des Africains candidats à l’immigration en Europe, nous mène jusqu’à Silet aux portes de Tamanrasset, où ces derniers reviennent inlassablement dans l’espoir de réussir à pousser plus loin leur voyage vers la nouvelle vie dont ils rêvent.

De notre envoyé spécial

Jetés dans le désert vers la frontière malienne, des centaines de ressortissants africains qui tentent d’immigrer clandestinement vers l’Europe, reprennent le chemin inverse, celui de l’Algérie. Dans le désert commun au Mali et à l’Algérie, au moins trois pistes sont empruntées. Mais avant l’odyssée, il y a «les formalités de départ» à remplir. En guise de «formalités de départ», il s’agit de se munir de faux papiers. Tout part du no man’s land où vivotent près d’un millier d’Africains refoulés ou en attente de partir. Dans un gros sac noir, des dizaines de passeports. Tous maliens. C’est un sésame pour rentrer en Algérie. Les Maliens n’ont pas besoin de visa pour fouler le sol de ce «pays frère». Plusieurs de ces documents de voyages ont été subtilisés. Il y a les «fournisseurs», les «intermédiaires», et les «revendeurs». «Le problème, c’est que tous les Noirs se ressemblent pour les Algériens. Alors, ils ne font pas de différence, et ne savent pas tout le temps identifier les véritables titulaires des passeports», explique un initié.

Voilà donc les candidats au retour avec en poche «leur» passeport. C’est le départ. L’une des pistes d’entrée sur le territoire algérien passe par l’ouest de la frontière. On contourne un pâté de maison, de couleur ocre, pour prendre la direction de Silet, vers Tamanrasset. Dix-neuf personnes à bord du véhicule. Sur les regards, l’inquiétude. Il y a des risques. Risque de croiser une patrouille, risque de tomber sur des bandes qui écument la zone. Le chauffeur a déjà empoché le prix de la course : 2 000 dinars par personne, soit environ 12 500 francs CFA. Alors, il s’en fout un peu. A la moindre incartade, il abandonnera tout le monde. Les passagers assis derrière le pick-up, avalent du sable. Ils sont enturbannés, de manière artisanale. Ce ne sont pas des «pros».

«Nous sommes obligés de repartir»

Après une heure de route, c’est la pause. «Le chef» de convoi assis à côté du chauffeur sort  son thuraya, téléphone satellite, indispensable dans le désert. On n’entend que des borborygmes. Le langage est codé. Il est sûrement en train de prendre des nouvelles de la route, avec un complice à l’autre bout du fil. Les nouvelles ne semblent pas être bonnes, à en croire le rictus qui barre le visage du «chef» de convoi. Le véhicule redémarre, pique plus vers l’est. C’est un détour nécessaire pour ne pas se faire «chopper» la police ou la gendarmerie. Nouvel arrêt. Nouveau coup de téléphone, nouveau rictus. Aucun commentaire dans le groupe.

Chrisostome, un ressortissant centrafricain, ancien étudiant à l’université de Dakar, est dans le convoi. Il en est à sa quatrième tentative. Assis les pieds croisés sur le sable, il grille une cigarette. «Nous sommes obligés de repartir. Il n’y a pas d’avenir en Afrique. Moi, j’étais étudiant à Dakar. 14 mois d’arriérés de bourses», dit-il. Endetté jusqu’au cou, il abandonne les études. Par miracle, son gouvernement fait un rappel d’arriérés. Alors, il engloutit depuis huit mois ses maigres économies dans la traversée.  

La première fois, c’est à une centaine de kilomètres après le départ de la ville malienne de Gao qu’il a été arrêté, lors d’un contrôle banal. Son passeport était malien. Mais il n’avait rien de malien, ni l’accent, ni la morphologie. Retour. La deuxième fois, il s’est cassé les dents devant l’enclave espagnole de Mélilla. Nouveau retour à la case de départ. La troisième fois, il a été refoulé d’Algérie. Cette fois, il espère que c’est la bonne.

Beaucoup sont dans son cas. Les histoires se ressemblent. Ivoiriens, Ghanéens, Camerounais (les plus frimeurs du groupe), Nigérians (les plus caïds), Gambiens. Tous veulent contre vents et marrées «sentir» l’Europe. Les dernières expulsions massives d’Africains des enclaves espagnoles de Mélilla et de Ceuta ? Ce sont pour eux des mesures cosmétiques, destinées  «faire peur». Les lois de plus en plus draconiennes qui régulent l’entrée en Europe ? Ils trouveront toujours la faille. Les conditions difficiles de la traversée du Nord du Mali en passant par le Sahara pour déboucher aux portes de l’Espagne ? Même s’il faut passer par «l’enfer» pour aller au «paradis» (Europe), ils sont décidés à faire le trajet. Rien, absolument rien, ne semble pouvoir les dissuader.

«Ils demandent que je les dépose à tel endroit, ça coûte tant, ils payent, je les dépose»

Après finalement une nouvelle heure d’horloge, le véhicule reprend sa course à travers le désert. Le chauffeur subitement ralentit. Rien de grave, c’est le «chef» de convoi qui a un besoin pressent. Il «contamine» d’autres nouvelles pauses. Certains clandestins en profitent pour sortir de leur baluchon de la viande séchée, qui peut se conserver pendant des mois. Goût d’ail à l’intérieur. Un peu d’eau, le moteur du véhicule ronfle à nouveau. Pas un chat sur le chemin emprunté. Fin connaisseur du désert, l’homme au volant ne conduit pas, il vise. Il raconte qu’il fait ce métier depuis cinq ans. Rien à se reprocher. «Il y a des passagers qui demandent que je les dépose à tel endroit, ça coûte tant, ils payent, je les dépose, c’est tout», dit-il un peu sans état d’âme. Il regarde sur son tableau de bord le niveau de son réservoir à essence et appuie sur l’accélérateur. Le véhicule joue un peu au «fou».

Plusieurs heures sont passées, le véhicule cette fois-ci pique plus à l’ouest. Au total, deux patrouilles viennent d’êtres évitées depuis le départ. «Parfois, les hélicoptères algériens patrouillent aussi. Mais, ils cherchent ceux qui font des trafics d’armes. Pas les aventuriers comme nous», explique le «chef» de convoi, qui en acceptant de nous accueillir à bord, vise un but : «Montrer comme il est difficile pour ces Africains d’aller en Europe». Pour lui, si on légalisait ces départs, «ça serait plus facile pour tout le monde». Les clandestins deviendraient des «légaux» et «les passeurs» aussi. Et ajoute-t-il, «ça deviendrait notre métier officiel».

Le trajet à l’arrière du véhicule est plutôt pénible. Presque tout le monde a les yeux fermés pour éviter la poussière. Les yeux fermés, mais en main son bidon d’eau véritable trésor dans le désert. Voilà donc le véhicule sur une piste normale. Après le détour, après les obstacles évités, on prend le plus officiellement possible la route de Silet [prononcez Silète], localité traversée avant d’échouer à Tamanrasset, la grande ville du Sud algérien, situé à environ 500 kilomètres de la frontière malienne. Il n’y a presque plus de danger jusqu’à Silet. Mais un dernier arrêt est nécessaire. Tout le monde descend. Le point est fait. Seulement deux personnes sont vraiment fatiguées. Elles auront droit à de «l’eau citronnée». Le «chef» des passeurs donne des consignes fermes. Les économies des clandestins sont-elles bien planquées dans les ceintures, le bas des chaussures, dans une poche de sous-vêtement spécialement conçue pour ça ? Autre consigne, si les forces de sécurité demandent la direction du groupe, un seul leitmotiv : «Nous allons à Tamanrasset pour trouver du travail». Leçons pigées, apprises par coeur par le groupe de clandestins.

A Tamanrasset, le plus dur est fait mais le calvaire n’est pas fini

Le chemin se poursuit, pas pour longtemps puisque les faubourgs de Silet se dressent. La suite du périple ? On change de véhicule. Un véhicule immatriculé en Algérie prend le relais.  Celui qui était immatriculé au Mali doit faire demi-tour pour aller chercher d’autres clandestins. Nous retournons par ce véhicule. Le trajet Silet-Tamanrasset est bitumé, d’après les témoins. Les contrôles de polices sont fréquents. Les «négociations» pour passer aussi. Négocier avec des clandestins : c’est possible. Mais avec un «clandestin», en réalité journaliste ? C’est plus difficile. Et les menottes tchèques utilisées par les forces de sécurité algériennes se retrouvent plutôt rapidement à vos poignets. Je suis à environ à 2 500 km au nord de ma «base», Bamako, je retourne donc sur mes pas avec le véhicule. Les autres ont poursuivi la route, vers Tamanrasset.

Là-bas, à «Tam» pour ceux qui y arriveront, «l’hôtel» sera le «Sheraton», nom donné à un rocher situé d’après les témoins à cinq kilomètres de la ville. C’est, il paraît, le lieu de regroupement de tous les clandestins. Ils y dorment, cherchent de petits boulots avant de continuer. Pour se restaurer, ils iront au «Tchad», surnom qu’ils ont donné à une place de «Tam». L’endroit grouillerait d’Africains clandestins en transit. Tout ça, s’ils ne sont pas arrêtés à nouveau. Le piège sans fin, en quelque sorte. A «Tam», le calvaire n’est pas terminé pour eux. Mais ils ont fait «l’essentiel» du trajet «dur» qui doit les conduire aux portes de l’Europe. Le reste du périple est, dit-on, relativement facile...

Retour sans difficulté pour nous à la frontière avec le Mali. Le véhicule qui nous ramène, doit nuitamment embarquer d’autres clandestins pour l’Algérie, sur le chemin du rêve européen.


par Serge  Daniel

Article publié le 22/10/2005 Dernière mise à jour le 22/10/2005 à 14:13 TU