Immigration
«La 49e wilaya du Sable»
(Cartographie: SB/RFI)
De notre envoyé spécial
Tinzaouatine, à la frontière entre le Mali et l’Algérie, située à environ 150 kilomètres au nord de Abéibara. Entre les deux pays, en plein désert, squattent près d’un millier de ressortissants africains. Dans ce véritable no man’s land, il y a un peu de tout. Ceux qui ont été refoulés d’Algérie, ceux qui s’apprêtent à tenter pour la première fois l’aventure, ou encore ceux qui font des affaires.
Sur environ 15 hectares, des cases construites en terre cuite. Les «aventuriers» dans ce qu’ils appellent eux-mêmes des «ghettos». Il y a le ghettos des Ivoiriens, celui des Nigérians, celui des Camerounais, des Ghanéens, etc. Certains ghettos, n’ont pas de toiture. Toute la zone est dans l’obscurité. Dans chaque ghetto, il y a le chairman, le président. Abilola, est celui des Nigérians. Il est entouré des membres de son «gouvernement» : le vice-président, le secrétaire, l’intendant, et le responsable de la sécurité.
«Nous avons préféré vivre, chacun avec ses compatriotes pour mieux se comprendre», dit Abilola montrant avec fierté le petit drapeau nigérian, planté devant «sa présidence». Sa «présidence» est insalubre, celle des Camerounais aussi. A l’entrée, on y lit sur le haut du mur : «Parigo, Jamaïcain, Homme Boy ‘s». C’est pour se donner de l’espoir dit Abilola. Dans la cour principale, une cuisine, en face des mômes jouent aux cartes.
«Bertrand est devenu fou ici»
«Nous sommes ici, pour nous préparer à repartir», affirme d’emblée, «Obaye», les yeux qui brûlant de fièvre. Sans hôpital, ni centre de santé, «Obaye» comme les autres qui tombent malade, se soignera avec les rares plantes qui s’entêtent à pousser sur place. Gonzalez Bertrand Edgar est étudiant congolais, expulsé par «erreur» du Maroc. Il vit sur les lieux depuis un an. Depuis peu, il a perdu le contrôle de ses sens. Il n’en peux plus, et délire. Son voisin, qui le connaît bien, lâche : «En réalité, mon ami Bertrand est devenu fou ici. Non seulement il a été expulsé injustement du Maroc et d’Algérie, mais, il n’a pas supporté la vie +de fou+ de nous menons ici».
Gonzalès porte un pantalon couleur kaki. Dans ses propos, il passe du coq à l’âne, avec tantôt un sourire, tantôt un regard d’acier. L’ancien étudiant à la fac de droit est sans aucun doute le plus intello des toutes les personnes rencontrées sur place. Un ex-intello. Jérôme, lui, est également malade. Il traîne la patte, conséquence de plusieurs coups reçus avant son expulsion d’Oran. «Je dois m’opérer d’une hernie. Si ça tarde, je vais faire comment ?», interroge t-il impuissant. D’autres africains ont des boutons, se grattent le corps. Pudiquement, un Ivoirien jusque-là silencieux, lance : «ce sont des boutons de chaleur».
Sur place, on manque de centre de soins, mais on manque aussi de repas. Plusieurs personnes interrogées, affirment qu’elles mendient, «tantôt à la frontière, côté malien, et tantôt côté Algérie». Mais dans le ghetto camerounais, une odeur de repas se dégage. Ceux sont des pâtes, le pain, constituant le principal «calme-ventre» de ces pauvres ères. Le pain, mais quelques rares fois, disent-ils, les vestiges d’un gros bélier tué par des familles algériennes, logés à un jet de pierre de là.
«Sudani», «Zébé», «Nikemok», «Miskine»
La discussion n’est pas terminée que, côté algérien, des camions se garent. En descendent 398 ressortissants africains. Ce sont les nouveaux expulsés. Encadrés par les forces de sécurité algériennes, le chemin des ghetto est indiqué. Ils rejoignent les autres. Congratulations, chaque ghetto accueille ses ressortissants. Les pas sont lourds, la fatigue se lit sur les visages. Avant lecture du «règlement intérieur», chaque nouvel arrivant débourse 200 dinars, comme «frais d’installation».
Dieudonné, un des nouveaux venus, est tchadien. Il n’y a pas ici de ghetto tchadien. Alors il devient «Camerounais». Il boîte et a la tête un peu enflée : «Ce sont les militaires algériens qui m’ont battu à mort, à Oran, avant de m’arrêter et de me conduire ici», dit-il. Il n’est pas le seul à témoigner. Godefroid, Libérien, marié à une Algérienne, selon ses déclarations, a le bras bandé. «Je devais, avoir un plâtre, mais à l’hôpital en Algérie, ils m’ont mis une bande dure, parce que les camions qui doivent nous ramener au Mali étaient pressés», explique t-il.
Un Nigérian chétif dénonce, lui, le «racisme des Algériens». Emprisonné pour un larcin, il a été relâché trois mois plus tard. Il trouve un boulot, le 28 du mois passé, son patron le convoque à la police pour un supposé vol. «En réalité, j’ai compris qu’il m’a convoqué le 28, parce que le 30, il devait me payer. Alors, il m’a emmerdé pour ne pas me payer», narre t-il. Pour d’autres expulsés, «les Algériens se considèrent comme supérieurs aux Noirs». «Sudani», «Zébé», «Nikemok», «Miskine» sont les jurons qui désignent «le Noir» disent-il.
Une véritable industrie des faussaires
Certains, à peine débarqués dans ce désert rude, où les températures atteignent parfois 50°, quittent les lieux. Des véhicules les attendent déjà. Une heure après leur arrivée, les voilà repartis, par des chemins détournés. Dans ce no man’s land, il n’y a pas d’eau potable, ni d’eau tout court d’ailleurs. Les vols de bouteilles d’eau sont plus fréquents que les vols d’argent. «Ecoutez, explique Narcisse, un Camerounais parmi les plus anciens des lieux, c’est dans ce village algérien qu’on va demander de l’eau. Parfois, on nous donne, parfois, on refuse».
Malgré les conditions de vie plutôt intenables, un constat s’impose. Ils veulent tous repartir. Repartir là-bas, en Europe. Pourtant tout devrait les décourager. Dans leur «Etat», ces Africains ont un cimetière. Il est à l’Est des cases qui se dressent dans cet endroit situé au creux du désert montagneux. La nuit tombée, la vie ne s’arrête pas dans le bled que les aventuriers appellent encore «la 49e wilaya du Sable». «Wilaya», précisent-ils, signifie «province».
Du côté Est de la wilaya plongée dans le noir, la lumière d’un véhicule. D’après nos recoupements, c’est là où se déroulent «opération départ» pour les aspirants. Passeports maliens volés, tampons officiels volés ou imités, une véritable industrie des faussaires s’installe. Les prix varient. La nuit enveloppe la 49e wilaya ? C’est aussi le moment d’autres trafics. Trafics de drogue. «La drogue douce comme dans toutes les zones transfrontalières», dit un Togolais, dans un français approximatif. Trafic aussi de filles. On ne les voit généralement que la nuit. Rarement le jour. Elles sont toujours présentées par leur «copains». Des copains qui n’ont pas l’air jaloux, puisqu’ils acceptent de les laisser un moment contre de l’argent.
«Si nos sœurs peuvent nous nourrir, pourquoi pas ?»
Selon plusieurs témoignages, nuitamment, en voiture, des forces de sécurité algériennes, viendraient embarquer quelques belles de nuit, pour un moment de plaisir. Narcisse veut parler ouvertement : «Il faut dire clairement les choses. Nous n’avons pas à manger. Notre corps n’est pas respecté. Si nos sœurs peuvent se débrouiller pour nous nourrir, pourquoi pas ? Appelez ça prostitution, comme vous voulez, c’est votre problème». En réalité, c’est plus que la prostitution. Il semble que les femmes de la 49e Wilaya sont arrivées là en «arrivée payée – avec bénéfice».
«Arrivée payée - avec bénéfice» est une expression courante chez les Africains, candidats à l’émigration clandestine rencontrés depuis quelques jours. Ce terme signifie, que quelqu’un vous paie votre transport jusqu’en Europe. Une fois arrivée, vous travaillez pour le rembourser avec un bénéfice. Et comme «travail», les femmes se prostituent généralement.
par Serge Daniel
Article publié le 21/10/2005 Dernière mise à jour le 21/10/2005 à 12:44 TU