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Immigration

Avicenne, un hôpital sans frontières

Porche et entrée de l'hôpital Avicenne(Photo : Bureau du patrimoine/CG93)
Porche et entrée de l'hôpital Avicenne
(Photo : Bureau du patrimoine/CG93)
Par son architecture dite mauresque, le contexte colonial de sa création et son histoire propre, l’hôpital Avicenne (ex Franco-musulman, surnommé «le Franco») est un lieu unique de l’histoire de la mémoire coloniale et de l’immigration en France. Le musée de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris lui consacre, à l’occasion de son 70e anniversaire, une exposition au sein même de ses bâtiments.

Détails de façade de l'hôpital Avicenne
(Photo : Bureau du patrimoine/CG93)
C’est à Bobigny, dans la banlieue nord-est de Paris que se trouve l’hôpital Avicennes. Banlieue plutôt défavorisée qui porte encore les cicatrices des émeutes qui l’ont agitée le mois dernier. Arrêt du tramway : Hôpital Avicenne. La porte de l’hôpital emprunte le motif des tours à loggias de la porte Bâb al-Mansour al’Alij de Meknès au Maroc. Il ne s’agit pas d’une représentation pittoresque de l’Orient, à la mode des Turqueries du XVIIIe siècle. Mais tous les repères architecturaux et à forte connotation culturelle mauresque sont réunis : mosaïque verte et blanche, grille à motifs géométriques, portique aux arcs brisés, mur d’enceinte blanchi à la chaux et surmonté d’un liseré vert. L’hôpital Avicenne est emblématique des relations entre la France et ses colonies, entre les métropolitains et les immigrés.

L’exposition, malheureusement dispersée dans trois bâtiments de l’établissement éloignés les uns des autres, retrace l’histoire singulière de cet hôpital «pas comme les autres». Des professionnels de l’hôpital (médecins et agents socioculturels), la ville de Bobigny et le bureau du Patrimoine du Conseil général de Seine-Saint-Denis ont travaillé en étroite collaboration, pour mettre en valeur différents documents : articles de journaux, vidéos, reprographie de photos de familles, extraits de discours sur panneaux, affiches de l’époque. Quatre modules autonomes déclinent des thèmes différents : Histoire politique et architecturale des lieux ; Patients et personnel : une histoire de marges ; histoire des évolutions médicales ; Aujourd’hui et demain : quels regards, quels enjeux ?

Ici, le couscous est servi aux patients.
(Photo : AP-HP)
Inauguré le 22 mars 1935, le lieu accueillait à l’origine uniquement les populations Nord-africaines de la région parisienne. L’hôpital était également rattaché au pouvoir préfectoral. L’objectif était double : d’une part, la «mère patrie» s’engageait à soigner et protéger ses pauvres, déracinés et malades ; d’autre part elle pouvait les contrôler et les surveiller, en installant, à l’entrée de l’hôpital, un poste de police rebaptisé «bureau des entrées». «Nous demandons aux populations musulmanes de voir dans l’ouverture de ce magnifique établissement une manifestation nouvelle de la sollicitude de notre pays et de son gouvernement pour leur avenir, pour leur bien-être, pour l’amélioration constante de leur situation à l’ombre et sous la protection de la Mère-patrie», déclare Marcel Régnier, ministre de l’intérieur en 1930.

«Rehausser le prestige de la France et de sa politique humanitaire et civilisatrice»

Emile Massard, conseiller municipal de Paris, évoque, quant à lui, une «méthode qui consiste à protéger et à assister pour mieux surveiller» alors que, dans les années 20 et 30, les premières revendications indépendantistes se font entendre. Les migrants ne s’y sont pas trompés et ont hésité à s’y rendre les premières années. Puis, au fil du temps, la politique sanitaire ségrégationniste française s’est avérée être un échec. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, une circulaire préfectorale indique enfin que «ne devront plus être dirigés sur l’hôpital de Bobigny que les malades nord-africains qui en exprimeront le désir». Aujourd’hui, l’établissement, qui prône le savoir «vivre ensemble» au quotidien, est ouvert à une totale diversité culturelle : suivant les services, la population d’origine étrangère représente 50 % à 80 % des malades, de quelque 85 nationalités différentes. Des traducteurs peuvent assurer, si nécessaire, la médiation entre médecins et patients en 23 langues et, actuellement, un lexique multilingue est en cours d’élaboration pour faciliter le premier échange verbal à l’accueil.

Salle de prière du cimetière musulman en 2005
Bureau du patrimoine/CG93
A plus de deux kilomètres au sud-est, l’enterrement des musulmans morts à l’hôpital se fait dans un cimetière prévu pour recevoir quelque 7 000 sépultures. Créé en 1937, il devait, «dans l’esprit de ses promoteurs, rehausser le prestige de la France et de sa politique humanitaire et civilisatrice dans tous les pays de l’islam», explique Jean-Barthélémi Debost, historien. Conformément à l’esprit d’origine, la liberté de conscience et l’égalité des cultes est respectée dans cet hôpital où une grande attention est portée aux spécificités culturelles des patients, notamment concernant leur mode d’alimentation : les cuisiniers tiennent compte des interdits religieux. Par ailleurs, des «mères nourricières» (femmes médiatrices dont les malades partagent la culture que le malade) ont la possibilité d’apporter à l’hôpital des plats préparés. Elles doivent, bien entendu, observer des règles très strictes d’hygiène alimentaire, mais cette initiative chaleureuse est un acte social fort dans toute sa portée symbolique, affective et thérapeutique.


par Dominique  Raizon

Article publié le 08/12/2005 Dernière mise à jour le 08/12/2005 à 16:29 TU