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Chine

Chungking Mansions : l’Afrique à Hong-Kong

Les Chungking Mansions de Hong-Kong alimentent les principaux marchés d’Afrique subsaharienne.(Photo : AFP)
Les Chungking Mansions de Hong-Kong alimentent les principaux marchés d’Afrique subsaharienne.
(Photo : AFP)
De Chine, l’Afrique importe du savoir-faire, des technologies, des médicaments, du textile et exporte… des commerçants, véritables « passeurs » entre la prospérité chinoise et le continent. De la téléphonie aux vêtements à bon marché, les Chungking Mansions de Hong-Kong alimentent les principaux marchés d’Afrique subsaharienne. Mais aujourd’hui, les commerçants noirs venus faire des affaires avec l’usine du monde se déplacent de plus en plus vers la Chine continentale. La fin d’un mythe ?

De notre envoyé spécial à Hong-Kong

A l’approche du nouvel an chinois, la frénésie consumériste a encore redoublé d’intensité sur les avenues de Hong-Kong. Dans la péninsule de Kowloon, sur Nathan Road, les Chungking Mansions, baptisées en hommage à l’une des principales villes chinoises de la province du Sichuan, n’échappent pas à la règle. Des cartons vides de téléphone portables s’entassent en dehors des boutiques, les restaurants indiens font le plein et on joue des coudes sous les néons et caméras de surveillance de cet ensemble immobilier de cinq blocs, réunissant trois étages de commerces, sur lesquels sont posés quatorze d’hôtels et guest-house à bon marché.

Si la fièvre des achats est la même que dans le restant de la mégapole aux sept millions d’habitants, la couleur des consommateurs est en revanche nettement différente : l’Afrique y est omniprésente. Dans cette affolante cité, qui est tout autant le premier port du monde que « la ville la plus mondiale d’Asie », le bâtiment décati surgissant à la sortie du métro Tsim Sha Tsui est en effet la « plate-forme » asiatique des marchands et grossistes issus des pays les moins développés de la planète. En particulier du continent noir.

Tour de Babel

« Tous les Africains venant à Hong-Kong ont entendu parler des Chungking Mansions », explique Thomas. Arrivé à Hong-Kong en 1997, ce ghanéen a toujours vécu à l’ombre des Mansions, passant d’une affaire à une autre, avant finalement de débarquer dans celui de la téléphonie. Thomas n’envisage absolument pas de retourner vers Accra : « C’est pas comme en Afrique. Les Chinois sont peut-être durs en commerce, mais on n’est pas obligé de donner des pots de vin. » Corans électroniques, fringues, lecteurs VCD, générateurs, films bollywoodiens - mais pas encore nollywoodiens -on trouve aux Mansions la plupart des produits qui seront ultérieurement vendus sur les étals et les carrefours du Nigeria ou du Kenya, de la Guinée ou de la République démocratique du Congo.

Intermédiaires, grossistes, hommes d’affaires, mama-benz ou affréteurs, 50% des quelques 4 000 habitants qui y sont officieusement recensés feraient ainsi des affaires avec des grossistes d’Afrique subsaharienne. Et plusieurs centaines de clients venus d’Afrique y passeraient chaque semaine. « Les  Mansions sont une tour de Babel africaine », estime le professeur Adams Bodomo, de l’Université de Hong-Kong. D’origine ghanéenne, ce professeur en linguistique vient de consacrer l’une des premières recherches dédiées à ce symbole « historique  des relations d’affaires entre les Africains et les Chinois ». Une étude qui dépasse le corpus linguistique pour ouvrir d’autres perspectives plus transversales : l’émergence de communautés africaines dans les mégalopoles d’Asie.

Chungking Express

Edifiées en 1961, les Chungking Mansions passèrent brièvement comme le projet architectural le plus coûteux de la ville, judicieusement placé sur le « golden mile » d’hôtels de luxe et de boutiques alors implantées au bout de Kowloon. C’était avant que le vent de l’histoire, mêlant pression immobilière, reflux des marques de luxe et migrations pré mondialisation, ne souffle sur le quartier. Avec les années 80, le Sud s’empara de la barre aux 72 hôtels à bas prix. Le ban et l’arrière-ban des commerçants du Commonwealth noir, tout comme leurs pairs venus des grands marchés d’Afrique équatoriale et de l’ouest, s’en refilèrent l’adresse. Puis vint l’époque moderne, le temps du bizness. Contrôlées par les triades Sun Yee On, les Mansions devinrent l’un des points chauds de Hong-Kong : trafic de drogue et bordels, criminalité et immigration clandestine, jeux clandestins et contrefaçons.

Puis vint 1997. Et avec le retour dans le giron Chinois, l’apparition de nouvelles zones économiques, à tout juste trois heures de train de Hong-Kong, via le fameux Chungking Express immortalisé par le réalisateur Hong Kwar Wai «  Aujourd’hui, précise Adams Bodomo, les Mansions sont à un tournant de leur histoire. D’un côté la criminalité a baissé mais, de l’autre, de nombreux  africains préfèrent désormais  aller faire du commerce  directement en Chine continentale, à Guangzou en premier lieu. Le lieu n’est pas non plus à l’abri d’une opération immobilière. Mais je pense qu’il  jouera toujours un rôle particulier et spécial dans l’économie de Hong-Kong. Il restera  une porte d’entrée pour les Africains qui souhaitent se rendre  en Chine ». Pour preuve : le prix prohibitif d’une boutique au rez-de-chaussée. Alors que l’hôtel Hyatt attenant est démoli pour être transformé en centre commercial, une échoppe des Chungking Mansions coûte aujourd’hui plus de 350 000 dollars Hong-Kong.


par Jean-Christophe  Servant

Article publié le 14/01/2006 Dernière mise à jour le 14/01/2006 à 12:49 TU