France
Fronde contre un rapport de l’Inserm
(Photo : AFP)
Un enfant qui mord, donne des coups de pied ou ne reste pas en place en classe de maternelle est-il pour autant de la graine de délinquant ? « Non ! », s’insurgent des professionnels de l’enfance, pédopsychiatres en tête, mais aussi des magistrats et des citoyens, qui redoutent que les dépistages de « troubles de conduite » chez les petits enfants âgés de 3 ans soient utilisés « à des fins de sécurité et d’ordre public ». Les quelque 30 000 signataires qui se mobilisent autour de la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans » agissent non pas tant contre le repérage de troubles du comportement que pour l’usage qui pourrait être fait du recensement et de son caractère « prédictif ». Ils rejettent « la médicalisation ou la psychiatrisation de toute manifestation du mal-être social » chez l’enfant, et redoutent des « dérives des pratiques de soins à des fins normatives et de contrôle social » qui seraient scientifiquement cautionnées.
Les approches du ministre et des chercheurs pourraient être dangereusement convergentes : « Du pain béni pour Sarkozy ! », s’exclame Bruno Percebois, membre du syndicat national des médecins de la Protection maternelle et infantile (PMI) dans Libération. En effet, le 13 février dernier, lors de la publication du premier rapport mensuel de l’Observatoire national de la délinquance, le ministre de l’Intérieur se déclarait « favorable à la mention des origines ethniques » des personnes mises en cause dans les statistiques de la police, et ce au nom de la « transparence ». « Faudra-t-il [désormais] aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ? », s'insurgent les pétitionnaires.Le rapport d’expertise collective de l'Inserm suscite d’autant plus d'inquiétudes, que ses orientations ont été reprises dans un rapport rédigé par le député Jacques-Alain Bénisti (UMP) et que ce rapport a été remis au ministre puis inséré dans l'avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance.
Parmi les pathologies stigmatisées, le rapport mentionne des manifestations d’opposition vives comme « des colères et des actes de désobéissance », « indocilité, hétéro-agressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas ». Or, classes surchargées et corps enseignant fatigué, ou épreuves familiales de toutes sortes (chômage, décès, séparation, arrivée d’un frère ou d’une sœur) sont autant de facteurs qui peuvent générer momentanément des troubles du comportement. Le rapport de l’Inserm stipule clairement que l’on parle de troubles de conduite lorsqu’il s’agit de « comportements répétés et durables d'opposition, d'agressivité et de transgression des règles, pouvant aboutir à des actes de violence graves. C'est essentiellement la sévérité des symptômes et leur persistance qui conduit à envisager un trouble des conduites ». Pour autant, insiste, dans Libération, Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Necker à Paris : « Personne au monde ne peut prédire qu’un enfant de trois ans qui présente des troubles de conduite sera un délinquant douze ans plus tard ».
Entre thérapies cognitivo-comportementales et psychotropes
S’ils ne récusent pas l’aide que peut apporter une prise en charge éducative, psychologique et sociale lorsqu’un enfant présente des troubles du comportement, les signataires de la pétition appartenant aux professionnels de la petite enfance, pédopsychiatres en tête, s’insurgent en revanche contre toute équation qui pourrait être établie entre petit enfant (désobéissant, colérique, ou en difficulté relationnelle) et adolescent délinquant potentiel. Ils dénoncent en outre les propositions qui sont faites, dans le rapport, d’un recours aux traitements médicamenteux si les thérapies cognitivo-comportementales ne s’avèrent pas efficaces.
Interrogé sur l’usage des psychotropes chez des enfants de 2 ou 3 ans, Bernard Golse alerte sur le manque de recul dont on dispose à l’heure actuelle concernant les effets de ces derniers sur des structures cérébrales du jeune enfant : « Les antidépresseurs, anxiolitiques ou somnifères vont se fixer sur les cellules nerveuses (…). Aucune étude disponible chez l’humain ne nous permet d’affirmer qu’en troublant l’installation de l’appareil cérébral à cet âge-là, on ne risque pas d’induire des effets à long terme ». Si l’ensemble du rapport a été très controversé dans le milieu psy, la pétition dépasse aujourd’hui le monde médical, et circule désormais chez les enseignants et les parents.
par Dominique Raizon
Article publié le 28/02/2006 Dernière mise à jour le 28/02/2006 à 13:17 TU