Afrique : chemins clandestins vers l’Europe
Maroc : petit et gros business des passeurs
(Carte : RFI)
De notre envoyé spécial au nord du Maroc
A Nador, dans la ville marocaine qui jouxte l'enclave espagnole de Melilla, les passeurs sont au chômage. La porte d'entrée en Europe est désormais bouclée à double tour. Mesures de sécurité renforcées. C'est ici que généralement les passeurs estiment leur boulot terminé. L’Europe commence à Melilla sur le continent africain. L’enclave n’est qu’à quelques kilomètres.
Un peu plus au nord, la ville marocaine de Tétouan. Tétouan, frontalière de Ceuta, l’autre enclave espagnole. En taxi, le trajet dure une vingtaine de minutes. Le chauffeur, un Espagnol avec qui je négocie le prix de la course, est persuadé que je suis candidat au départ. « Ceuta, je vous y emmène par une route spéciale, mais c'est 1 000 euros », lance t-il en français, avec son accent espagnol. Le véhicule démarre, enchaîne bifurcation sur bifurcation ; il réclame les 1 000 euros. Silence... Il devient nerveux et dirige son bolide vers une descente. « Descendez », ordonne t-il. Des militaires marocains pointent le nez. Le contrôle est très rapide. Nous expliquons notre mésaventure, les militaires nous reconduisent avec gentillesse sur le bon chemin.
Des ressortissants espagnols participent aussi aux réseaux de passeurs. Certains sont chauffeurs de taxi, leur activité officielle. D'autres traînent non loin des frontières maroco-espagnoles, à la recherche de « clients ».
Quand les clandestins se transforment eux-mêmes en passeurs
Khallil Zerouali est chargé des migrations et de la surveillance du territoire au ministère marocain de l'Intérieur. Jeune ingénieur, il aborde le problème des filières d'émigration clandestine sans langue de bois. « Le Maroc est victime de sa politique d'ouverture ». Il explique : « Il y a des réseaux dans les réseaux. Dès qu'on démantèle un réseau, un autre se constitue sur les décombres de l'ancien ». « Nous en avons repéré et démantelé déjà », poursuit-il sans vouloir rentrer dans les détails, la souricière étant toujours tendue.
Au siège de la Sûreté nationale de Nador, les policiers ne dorment que d'un oeil. Vigilance ! Vigilance ! Ils ont déjà appris quelques rudiments de bambara, langue parlée au Mali. Objectif ? Engager la conversation avec tout détenteur de documents de voyage malien, pour voir s'il est bien ressortissant du Mali. Déjà, les flics locaux ont obtenu des résultats. Plusieurs détenteurs de passeports maliens ne parlaient pas un traitre mot de bambara. « Il faut briser ce réseau de trafiquants de passeports maliens », commente un responsable de la sûreté locale.
Mounir dirige au Maroc une petite ONG (organisation non gouvernementale) qui aide psychologiquement des candidats à l'émigration qui ont échoué dans leur tentative de partir. Il dresse un portrait des passeurs : « Il y a passeur et passeur. Le vrai passeur, c'est celui qui peut te montrer vingt passeports neufs volés. C'est aussi celui qui peut te montrer beaucoup d'argent en différentes devises. Les autres sont des "petits" passeurs. Tu vois, par exemple, quelqu'un qui tente sa chance pour partir, et qui tombe sur des naïfs, il devient "passeur" pour prendre leur argent et partir ». Mounir ajoute : « Les réseaux de passeurs très organisés ont toujours une autre activité illicite à côté ; ils ont des ramifications jusqu'à la frontière, et même en Espagne ».
C'est confirmé de source proche des polices malienne et marocaine, certaines filières de passeurs ont d'autres cordes à leur arc : trafic de drogue et trafic de faux billets notamment. Ce sont les réseaux les plus organisés et ils disposent de relais à Ceuta et à Melilla, et surtout sur la péninsule espagnole. C’est-à-dire de l'autre côté de la Méditerrannée, selon des mêmes sources.par Serge Daniel
Article publié le 27/04/2006 Dernière mise à jour le 27/04/2006 à 16:31 TU
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Réalisation multimédia: Claire Wissing, Stéphanie Bourgoing et Darya Kianpour
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