Afrique : chemins clandestins vers l’Europe
La vie brisée de Zéïnabou échouée à Oujda
(Carte : RFI)
De notre envoyé spécial au Maroc
Elle a plusieurs sobriquets mais c’est Zéïnabou qu’elle préfère. Peut-être a-t-elle même oublié son vrai prénom. Dans la cour de l’université d’Oudja au Maroc où elle a trouvé refuge, elle ne sait plus où donner de la tête. Des soixante-douze kilos qu’elle pesait il y a trois ans, cette Nigériane a perdu depuis sa silhouette massive. On lit « 45 kilos » dans son carnet médical. Ses yeux brûlent. Une fièvre la dévore, petit à petit. Les médicaments qu’elle avale ne peuvent rien. Zéïnabou a plus que la fièvre, peut-être une maladie incurable. D’errance en errance, de pays en pays, de ville en ville, de quartier en quartier, elle est devenue une épave.
Tout commence pour elle en 2003. Un soir, c’est le coup de foudre dans une boîte de nuit de Lagos un peu tassée. Du haut de son 1,70 m, le teint sans couleur fixe -résultat de l’utilisation de produits pour s’éclaircir la peau-, elle raconte : « Ce soir-là, je suis tombée amoureuse pour la première fois dans ma vie. J’ai passé la nuit chez l’homme de ma vie et c’était extraordinaire ». Les mots entrecoupés de petits toussotements. Zéïnabou assemble peu à peu les pièces qui, emboîtées, dessineront les différentes étapes de son histoire.
L’homme de sa vie avait alors 32 ans, quatre de plus qu’elle. Une semaine après leur rencontre, elle découvre qu’il est en réalité un revendeur de chanvre indien. Elle assume et elle l’aide à écouler la marchandise, entre le Nigeria et le Bénin voisin. Ils mettent de l’argent de côté puis le couple décide d’émigrer clandestinement vers l’Europe.
Elle doit se prostituer pour poursuivre la route
Arrivés à Cotonou, ils gagnent ensuite le Burkina Faso puis le nord du Mali et la ville de Gao. Coup du sort. Monsieur est dévalisé par une bande de voyous. Le pécule n’est plus qu’un souvenir. Un soir, l’homme de sa vie regarde Zéïnabou droit dans les yeux : « c’est toi seule qui peut nous sortir de ce problème ». Elle a compris. Elle doit faire le trottoir pour nourrir le couple, se prostituer pour avoir de quoi poursuivre le chemin de l’aventure vers l’Europe.
« Dans toutes les histoires des femmes qui pénètrent illégalement l’Europe, il y a toujours à la base, une histoire de sexe », explique Khalil, étudiant marocain à l’université d’Oudja. Avec des amis, il a monté une petite association pour venir en aide aux Subsahariens en détresse.
Zéïnabou se prostitue donc à Gao, au Mali. Elle loue dans un quartier populaire, une chambre, dans une maison close : 2 000 francs CFA la nuitée (3 euros), 1 000 francs CFA la passe (1,5 euros). Une dizaine de clients par jour. Dans la trésorerie du couple au moins 10 000 francs CFA par jour (15 euros). C’est monsieur qui tient la caisse. Mais avec le temps, la discorde s’installe. Zéïnabou se retrouve seule. Son ami a pris la tangente avec les économies du foyer.
Zéïnabou ne peut plus reculer. « J’étais coincée mais j’étais décidée à partir », dit-elle. Elle redouble d’ardeur au travail. Pudique un instant, elle demande de couper le magnéto qui enregistre sa voix rauque. Sa trouvaille pour gagner plus ? Doubler le tarif pour les hommes qui refusent le port du préservatif. L’argent entre dans sa caisse. En un temps record, elle se retrouve avec 400 000 francs CFA (600 euros).
Moteur en panne, deux mois d’arrêt
Zéïnabou a de quoi partir en Algérie avant d’atteindre le Maroc. Elle prend contact avec un passeur. Elle paiera 100 000 francs CFA (150 euros) et tout au long du voyage, elle se prostituera pour payer le reste. Stratagème trouvé pour ne pas se séparer de ses 300 000 francs CFA restants qu’elle cache soigneusement dans son pagne. Quelques effets vendus, sa chambre sous-louée à une nouvelle venue dans le monde de la prostitution à Gao et elle part sur la pointe des pieds.
Dans le véhicule hors d’âge qui s’enfonce dans le désert ce jour-là, Zéïnabou rencontre trois autres filles. Au total elles sont quatre filles sur un total de vingt-deux passagers. Le groupe arrive dans la ville malienne de Kidal. Le véhicule censé les conduire à la frontière entre le Mali et l’Algérie, tombe en panne. Moteur irrécupérable. Deux mois dans la ville. Deux mois difficiles. Dans cette ville plutôt pieuse, peu de clients. Les autochtones ne sont pas frivoles ou, pour être plus précis, tout homme surpris avec une fille de joie est banni. Les trois autres filles du groupe se retrouvent sans le sou. Elles font désormais comme Zéïnabou. Elles sont devenues des professionnelles du sexe pour les étrangers de passage.
Finalement, Zéïnabou et ses « sœurs » ont de quoi pointer le nez à la frontière. Il y a deux passages prisés. L’un au sud, vers la localité de Tinzaouatine ; l’autre au nord, en passant par la ville malienne de Inhallil. Elles choisissent le passage du nord. Deux semaines plus part, elles arrivent à destination. A Inhallil, témoigne t-elle, il y a du monde. Du monde en attente de départ. Mais c’est invivable pour une femme. Pas assez d’eau pour la toilette, pas d’intimité. « Pour les hommes, nous étions des objets. Nous étions du papier-kleenex », insiste-t-elle, montrant des traces de blessures sur la poitrine. Hommes jaloux, règlement de compte, elle s’est retrouvée au milieu d'une bagarre mémorable. Sur sa poitrine, une cicatrice, souvenir de cette bagarre. Zéïnabou saute sans ses copines dans le véhicule d’une ONG (organisation non gouvernementale) pour redescendre vers Kidal. Elle vient de passer deux mois dans le désert.
De Kidal, elle parvient à gagner la ville algérienne de Tamanrasset. Il faut maintenant traverser le pays du sud au nord pour atteindre Oujda au Maroc. Sexe, alcool, violence sur la route. Elle arrive à destination, exténuée.
Devenue mendiante
A Oujda, son statut de femme arrange un peu les choses : soins gratuits dans un centre de santé, repas gratuits grâce à des associations. Il faut poursuivre le chemin mais son corps n’est plus aussi attrayant. Et puis, après trois mois, son ventre a grossi. Un test. Elle est enceinte. « Le père de l’enfant ? J’hésite entre deux hommes. Mais je ne les connais pas. Je ne sais pas où ils sont.» Zéïnabou essaie d’avorter clandestinement. Sur recommandation d’une Ghanéenne, elle avale une mixture composée de feuilles. Résultat : une forte diarrhée, des vomissements. Elle tombe malade. Avortement raté. Elle se rétablit petit à petit. Son ventre pousse. Un soir, un passeur lui assure que les femmes enceintes peuvent passer clandestinement en Europe mais qu’en retour, une fois arrivées, elles doivent donner l’enfant. Rumeur ? Réalité ? Zéïnabou décide de tenter sa chance.
Elles sont cinq, ce soir-là, pour le départ vers la localité marocaine de Nador, située non loin de l’enclave espagnole de Melilla. Par des chemins détournés, tout ce monde arrive à dix kilomètres des grillages qui séparent le Maroc de L’Espagne. Elles habiteront dans une chambre louée dans un bâtiment vétuste. Elles comptent les jours. Un « médecin » les ausculte. Grossesses normales. Deux premières femmes enceintes s’en vont. Zéïnabou veut croire qu’elles sont arrivées à bon port.
Avec les autres, elle attend son tour. Un soir, de violents maux de ventre. Direction, l’hôpital. Elle accouche. L’enfant est mort-né. Elle se retrouve très rapidement à la rue où elle devient mendiante. Elle n’a plus la force de se prostituer. Bientôt, elle n’aura même plus la force de mendier. Elle a décidé, le mois dernier, de faire un test de dépistage du sida. Mais depuis, elle n’a pas le courage d’aller chercher les résultats. Ici dans la cour de l’université de Oujda où elle a échoué, elle n’attend plus rien de la vie : « Je remets ma vie entre les mains de Dieu ».par Serge Daniel
Article publié le 28/04/2006 Dernière mise à jour le 28/04/2006 à 12:28 TU
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