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Afrique : chemins clandestins vers l’Europe

Nouadhibou : l’Europe ou la mort en pirogue

Nouvelle escale sur la route des clandestins depuis le renforcement des barrières autour de Ceuta et Melilla dans le nord du Maroc, Nouadhibou la Mauritanienne attire les candidats à la traversée vers l’archipel espagnol des îles Canaries.

De notre envoyé spécial en Mauritanie

Une zone rocheuse se dresse. C'est l'entrée de la ville mauritanienne de Nouadhibou. Le véhicule vient d'avaler 470 kilomètres en provenance de Nouakchott, la capitale. Sur tout le tronçon, au fond à gauche, le littoral et la mer. L’océan tutoie le désert. Cohabitation plutôt curieuse. La route est bitumée depuis quelques mois. Une révolution. La première transsaharienne sur le continent a vu le jour. Une aubaine pour le désenclavement du pays et de la sous-région. Une aubaine aussi pour les Subsahariens candidats à l'émigration clandestine en Europe.

Les enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta qui jouxtent le Maroc sont désormais hermétiquement fermées. De trois mètres, les grillages se dressent désormais sur six mètres. Des deux côtés de ce rideau de fer, les forces de sécurité espagnole et marocaine veillent au grain. Mais si les Subsahariens ont jeté leur dévolu sur Nouadhibou, il y a une autre raison : la filière saharienne (terrestre) est plus coûteuse que la « route de l'Atlantique », via Nouadhibou.

Il sont arrivés ici comme ils ont pu. Plusieurs dizaines de candidats à l'émigration clandestines interrogés sont formels : ils viennent du Mali, mais aussi du Sénégal, du Niger. De ces pays, pour venir en Mauritanie, il n'y a ni véritables filières, ni véritables réseaux. C'est à Nouadhibou qu'ils intègrent les réseaux. Leur objectif ? Le large et les îles Canaries. L’archipel espagnol, c’est déjà l’Europe.

Deux sachets en plastique : un pour uriner, l’autre pour vomir

Kouroumay est un jeune Gambien qui répète « the clock is ticking », le compte à rebours a commencé. Il veut « tenter sa chance ». Il vient de Dakar. Avec des amis, il fait le parcours Dakar-Rosso-Nouakchott, avant d'échouer dans ce quartier populaire de Nouadhibou. Kouroumay connaît par coeur le manuel du clandestin : deux sachets plastiques, l'un pour uriner dedans en pleine mer ; l'autre pour se masquer de temps en temps le visage contre la peur et contre le mal de mer. Il lui faut aussi un bon bidon d'eau à boire une fois dans la pirogue qui va le conduire aux îles Canaries. Et encore un gilet de sauvetage usé à partager avec six autres passagers.

Comme Kouroumay, des milliers de ressortissants subsahariens prennent désormais d'assaut Nouadhibou. Chaque jour, 80 à 90 personnes arrivent en ville, selon le Croissant rouge local. Son patron, Amedhdou Ould Haye estime qu’ils sont 15 000 Subsahariens. Dans l’attente du départ, ils s’installent dans les quartiers populaires surpeuplés du vieux Nouadhibou. Tcharka est l'un de ces quartiers. Des Maliens viennent d’y débarquer. Ils viennent de Gao, ville septentrionale de leur pays. Ils ont traversé le Mali par l'ouest, via Gogui situé à la lisière de la frontière entre les deux pays.

Construire sa pirogue

Ceux qui arrivent du Mali ne connaissent pas grand chose de la mer. Très rapidement ils apprendront les règles locales du jeu. Ils assimileront vite. Surtout qu'ils squattent ici à Tcharka, à quelques dizaines de mètres des pêcheurs dont les pirogues servent aussi à transporter les candidats à l'émigration clandestine. Mais la roue tourne. Chez les clandestins, on fait de moins en moins confiance aux piroguiers-passeurs. Souvent, dès qu'ils empochent le prix de la traversée vers les côtes espagnoles (de 300 à 500 euros par personne), ils alertent la police. Et tout le monde est arrêté deux minutes après le départ. La sentence est connue : rapatriement vers le pays d'origine.

Pour éviter de tomber dans les filets de la police, d'autres candidats à l'aventure via Nouadhibou ont trouvé une idée originale : fabriquer eux-mêmes leur pirogue. Le deal ? La pirogue sera robuste, plus longue avec une partie en fibre de verre. Ensuite, le constructeur trouve lui même le « capitaine » de bord qui sera payé au prix fort. La moitié du « salaire » est versée quand l'embarcation est prête, l'autre moitié payable le jour du départ. Précaution supplémentaire, on signe un pacte de « non trahison » avec évocation des mannes tutélaires. Ça marche quelquefois.

« J'ai commencé à prier. Dieu nous a entendu »

Ce sont des Gambiens qui viennent de faire fabriquer leur pirogue. La barque a plutôt belle gueule. En plus des deux moteurs (un neuf, l'autre d'occasion), il y a un GPS, pour se repérer en pleine mer. Ils vont réussir à partir. Mais 24 heures après leur départ, retour forcé. Oumar l'un des rescapés, témoigne : « Nous sommes partis, le GPS a bien fonctionné au début. Mais un moteur est tombé en panne. Nous avons fait du surplace, parce que là où nous étions, la mer n'était pas trop dure. Mais après la mer a voulu nous prendre, et nous avons pris le chemin du retour surtout que le deuxième moteur commençait à lâcher. J'ai commencé à prier. Dieu nous a entendu ».

Jour après jour, les départs se poursuivent malgré les dénonciations, les reconduites dans le pays d’origine, les naufrages et les noyades. La Mauritanie compte 800 kilomètres de côtes que les forces de sécurité n'ont pas les moyens de contrôler efficacement.

par Serge  Daniel

Article publié le 27/04/2006 Dernière mise à jour le 27/04/2006 à 18:13 TU