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Afrique : chemins clandestins vers l’Europe

Nigeria-Bénin : avec les réseaux de passeurs

Point de départ initial vers l’Europe pour nombre de candidats à l’émigration, le Nigeria abrite des réseaux de passeurs de frontières. Notre envoyé spécial les a rencontrés.

De notre envoyé spécial au Nigeria

Apapa road, gigantesque quartier situé à l'est de Lagos. Sous un pont, une pancarte annonce : Lagos State Taxi drivers. En plein air, c'est le siège d'une association de chauffeurs de taxi. A dix mètres de là, un homme à la silhouette massive vend de l'alcool frelaté dans de petits sachets. Hop! Hop! Hop! Le breuvage coule dans le gosier d'une dizaine de personnes assises. Certains allument une clope. La « réunion » commence. Les membres d'un réseau spécialisé dans l'organisation de l'émigration clandestine de subsahariens vers l'Europe font le point.

Ils décernent les bons et les mauvais points. Mention « bien » pour leur « correspondant » au Ghana ; « passable » pour le « représentant » qui couvre Lomé et Cotonou ; mais grosse inquiétude en ce qui concerne le responsable du réseau au Mali, plus précisément dans la ville de Gao, située aux portes du désert, l'un des points de passage des candidats à l'émigration clandestine en Europe.

« Nous ne faisons rien d’illégal »

Le responsable, c’est James, que nous avons rencontré quelques mois plus tôt à Gao. Il est aujourd'hui dans le collimateur de ses acolytes. Non seulement, il ne fait pas un « compte-rendu honnête » des rentrées d'argent, mais il est « anormalement »  en rupture de passeports. C’est de passeports maliens dont on parle ici à Lagos, ce sésame nécessaire aux candidats à l’aventure européenne puisqu’il permet d’entrer en Algérie sans visa.

Le groupe des « chauffeurs de taxi » comprend des Nigérians, des Maliens, des Béninois, des Ghanéens, des Camerounais et un Ivoirien. Ensemble, ils décident d’adresser à James un « rappel à l’ordre » par téléphone.

Téléphone et passeport. Ce sont les deux mamelles de l’activité des réseaux de passeurs. « Nous ne faisons absolument rien d'illégal. Est-ce un crime de vouloir aider nos frères à rejoindre l'Europe pour nourrir les parents restés sur place ? », interroge Maly, dans le minibus qui nous conduit jusqu'à la frontière avec le Bénin. Ce jeune Béninois ouvre son sac : il contient 22 puces de téléphone portable de six pays de l'Afrique de l'Ouest. Il connaît par coeur les codes d'appel des pays, les « bonnes heures » d'appel, les opérations de promo des différents opérateurs de téléphonie mobile. Il connaît tout.

« Mes parents qui ont cotisé pour moi, je pars en leur nom. »

Avec nous, dans le même minibus, douze candidats à l'émigration clandestine en Europe. Ils vont tous au Bénin. Un groupe sera ensuite dirigé vers Agadez au Niger, un autre vers la ville malienne de Gao. Parmi les passagers, Amon, un jeune Nigérian. Il tente l'aventure pour la première fois. Il a payé 1 000 euros pour aller jusqu'à Gao. « Je ne regrette rien. Ce sont mes parents qui ont cotisé pour moi, je pars en leur nom ». Il n'oubliera pas « si ça marche », le retour d'ascenseur.

Le minibus poursuit son chemin jusqu’à la frontière béninoise de Sémè-Kraké. Tout le monde descend. Les minibus nigérians peints en jaune ne traversent jamais la frontière. C’est interdit. Des taxis (des 505 Peugeot) attendent du côté béninois.

On passe la frontière béninoise à pied

Par groupe de quatre, les candidats à l'émigration clandestine se dirigent vers un bureau pour les formalités de police. Côté frontière nigériane, pas de grands problèmes. Quelques billets de naira (monnaie nigériane), empochés par les flics au vu et au su de tout le monde, et tous passent royalement. Côté Bénin, aucun ne présente de passeport, mais des cartes d'identité. Avantage ? Aucun tampon ne trahira leur date d'arrivée au Bénin. Donc possibilité de rester sur le sol béninois au-delà des 90 jours fixés par l'accord de libre circulation des biens et des personnes dans l'espace de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Après deux heures de route, les passagers respirent l'air frais des côtes béninoises. Maly devient plus prolixe. Il récapitule : le réseau de passeurs dispose d’une plaque tournante, le Nigeria. Mais c'est un réseau « dans des réseaux » avec des ramifications au Bénin, au Cameroun, au Togo, au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Ghana. Ceux-ci sont en Afrique subsaharienne, les principaux pays pourvoyeurs de candidats à l'émigration clandestine en Europe, via le désert et la mer. Une autre ramification du réseau provient du Ghana.

par Serge  Daniel

Article publié le 27/04/2006 Dernière mise à jour le 27/04/2006 à 16:33 TU