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Clearstream : «corbeau» mais pas trop

Jean-Louis Gergorin refuse d’être affublé de l’étiquette de «corbeau» et rejette l’accusation de manipulation.(Photo : AFP)
Jean-Louis Gergorin refuse d’être affublé de l’étiquette de «corbeau» et rejette l’accusation de manipulation.
(Photo : AFP)
Jean-Louis Gergorin, ex-vice président du groupe aéronautique EADS, soupçonné d’être le «corbeau» dans l’affaire Clearstream, a admis, au cours d’un entretien avec le quotidien Le Parisien, avoir fait parvenir le premier listing de comptes falsifiés au juge Van Ruymbeke. Il plaide néanmoins la bonne foi et tente d’expliquer comment il est entré en possession de ces documents et pourquoi il les a remis au juge, mais aussi au général Rondot, chargé par Dominique de Villepin d’enquêter.

Le plaidoyer par interview interposée est une affaire qui marche dans le dossier Clearstream. Après le général Philippe Rondot dans Le Journal du dimanche, c’est au tour de Jean-Louis Gergorin de donner «sa» vérité au Parisien. L’homme soupçonné depuis longtemps d’être le «corbeau», et qui avait toujours démenti, avoue aujourd’hui que c’est bien lui qui a fait parvenir le premier listing de comptes falsifiés au juge Renaud Van Ruymbeke. Celui remis par l’avocat Thibauld de Montbrial, le 3 mai 2004. En ce qui concerne les envois suivants du mois de juin, Jean-Louis Gergorin botte en touche : «Je réserve mes informations et mes analyses aux juges».

Qu’est-ce à dire ? Que la suite ne le concerne plus directement et que la manipulation est orchestrée par d’autres acteurs ? C’est évidemment l’idée qui vient à l’esprit immédiatement, même si Jean-Louis Gergorin ne s’avance pas clairement sur ce terrain. Ce qu’il dit, en revanche, sans détour c’est que le nom de Nicolas Sarkozy ne figurait pas sur la liste de 70 comptes qu’il a eu en sa possession. Le nom du ministre de l’Intérieur n’est apparu, selon lui, que sur un listing beaucoup plus détaillé que celui qu’il appelle sa «source», dont il ne veut pas révéler l’identité et refuse de dire s’il s’agit de l’informaticien Imad Lahoud, a remis directement au général Rondot. Mais qui donc alors l’a fait parvenir au juge d’instruction le 13 juin ?

Je ne suis pas un «corbeau»

Jean-Louis Gergorin refuse, d’autre part, d’être affublé de l’étiquette de «corbeau» et rejette l’accusation de manipulation. Un «corbeau» est, selon lui, «un délateur anonyme de mauvaise foi». Il estime que ce n’était pas son cas puisqu’il a contacté Renaud Van Ruymbeke de manière transparente même s’il a refusé de «déposer formellement». Sur le deuxième point, il affirme que «cela arrangerait beaucoup de monde» qu’il soit à l’origine de la manipulation mais qu’il reste persuadé que «la base initiales de [ses] informations a une forte probabilité de fiabilité».

En expliquant les circonstances dans lesquelles il a enquêté sur la société de compensation financière Clearstream, Jean-Louis Gergorin estime vraisemblablement crédibiliser ses explications. Tout part selon lui, en 2002, de soupçons d’espionnage à l’encontre du groupe Matra-Hachette dirigé à l’époque par Jean-Luc Lagardère, dans lequel il s’occupait de la stratégie. C’est pour savoir ce qu’il en était réellement qu’il a mené son enquête après la mort brutale de Jean-Luc Lagardère, au printemps 2003, celle-ci lui apparaissant suspecte. Cela l’a mené jusqu’à Clearstream, une société luxembourgeoise qui gère les transactions financières entre comptes internationaux. Celui qu’il cite comme sa «source» avait réussi à en pénétrer les comptes et l’aurait aidé à vérifier si «des prises de positions anormales sur le titre Lagardère» avaient eu lieu «dans les semaines qui ont précédé [le] décès [de Jean-Luc Lagardère]».

De fil en aiguille, sa «source» en arrive à lui fournir une liste de 70 comptes sur laquelle figurent des noms de fonctionnaires, de politiques (Dominique Strauss-Kahn, Jean-Pierre Chevènement, Alain Madelin), de milliardaires russes, de mafieux. Un cocktail jugé «explosif» par Gergorin qui dit alors décider d’en référer aux autorités. Il contacte donc l’une de ses connaissances, le général Rondot, officier du renseignement au ministère de la Défense, auquel il révèle «tout» ce qu’il sait. Ce n’est qu’ensuite, presque par hasard, qu’il informe Dominique de Villepin, dont il dit ne pas être un «intime».

La réponse du «corbeau» à l’espion

Au bout du compte, l’interview de Jean-Louis Gergorin sonne un peu comme la réponse du «corbeau» à l’espion. Il affirme en effet que les politiques ont vraisemblablement été mis au courant de sa démarche auprès du juge Van Ruymbeke, en avril 2004, par l’intermédiaire de Rondot, qu’il avait informé. Cela signifierait donc qu’au moins Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense à laquelle Rondot devait rendre compte, et certainement Dominique de Villepin qui l’avait chargé de l’enquête, savaient parfaitement qui était le «corbeau» du 3 mai. Alors que l’officier avait donné une version des faits qui les dédouanait dans son interview au Journal du dimanche.

Décidément, la patate chaude n’arrête pas de changer de mains d’un jour à l’autre dans l’affaire Clearstream. Des informations à la fois complémentaires et contradictoires s’accumulent. L’enquête des juges Henri Pons et Jean-Marie d’Huy sur les «dénonciations calomnieuses» dont ont été victimes certaines personnalités se poursuit. Ils ont de nouveau reçu leur collègue Renaud Van Ruymbeke. Ils ne devraient pas pouvoir auditionner, aux dates prévues, Philippe Rondot qui a refusé de se rendre à leurs convocations. Quant à Imad Lahoud, il a été hospitalisé pour une grosse déprime. Ils disposent aussi maintenant d’un élément matériel pour orienter leurs investigations. Des traces d’ADN de six personnes dont quatre femmes ont été retrouvées sous les timbres des courriers envoyés au juge Van Ruymbeke. A défaut de plusieurs «corbeaux», il y aurait au moins eu différents colleurs de vignettes.


par Valérie  Gas

Article publié le 18/05/2006 Dernière mise à jour le 18/05/2006 à 16:19 TU