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Portrait

Patrick Bouchain : une architecture humaniste et libertaire

Article publié le 26/06/2007 Dernière mise à jour le 26/06/2007 à 15:14 TU

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Procéder à un « renversement architectural » : c’est ce à quoi s’est employé Patrick Bouchain à qui a été confiée, avec Loïc Julienne, la rénovation du Palais de la Porte Dorée à Paris, pour y accueillir la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, qui ouvre ses portes en septembre 2007. Il n’en fallait pas moins pour faire de l’imposant ancien « musée permanent des Colonies », construit en 1931 à l’occasion de l’exposition coloniale internationale et classé monument historique, un « instrument pour changer le regard sur l’immigration ». Mais réhabiliter, transformer, ouvrir, Patrick Bouchain connaît : cet architecte anticonformiste fait cela depuis trente ans.

Patrick Bouchain à l'université populaire de CaenDR

Patrick Bouchain à l'université populaire de Caen
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Né en 1945 à Paris, Patrick Bouchain est architecte et scénographe. Il a créé l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI). On lui doit la réhabilitation de friches industrielles et leur transformation en «fabriques culturelles», comme le Magasin à Grenoble en 1985, le Lieu Unique à Nantes en 1999,  la Condition publique à Roubaix en 2003 ou encore la Tente nomade de l’université populaire de Caen en 2006. Une manière de prouver qu’on peut «faire autrement et moins cher». Dans le domaine des arts du spectacle il a été l’architecte du théâtre équestre Zingaro à Aubervilliers et de l’académie des arts du cirque Fratellini à Saint-Denis, et en tant que scénographe il s’est investi dans l’organisation du bicentenaire de la Révolution en 1989 et la célébration du passage à l’an 2000, sur les Champs-Elysées. Il collabore également avec des artistes pour des projets in situ, dont Les deux plateaux de Daniel Buren dans la cour d’honneur du Palais Royal à Paris.  En 2006 Patrick Bouchain était l’architecte invité du Pavillon français à la Biennale de Venise 2006, «Métavilla», conçu comme «un lieu d’échange et de convergence des savoirs comme peut l’être un chantier». Dans le même temps, son ouvrage Construire autrement, inaugurait aux éditions Actes Sud la collection l’Impensé, dédiée à l’architecture.

Ses propos, recueillis à cette occasion par Danielle Birck, illustrent la démarche singulière d’un architecte qui dit «avoir cessé de faire de l’architecture» pour laisser la place à la «mobilité des choses» et à la «convivialité des hommes». 

«L’architecture c’est l’affaire de tous et elle est partout»

Citation de Patrick Bouchain (lors de la biennale du Design 2006 à Saint-Etienne).(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Citation de Patrick Bouchain (lors de la biennale du Design 2006 à Saint-Etienne).
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

«C’est vrai que c’est un art incroyable, puisque c’est un art «utile» - contrairement peut-être aux autres arts, et en même temps c’est un art qui vous entoure. Tout le monde pratique l’architecture au quotidien en ouvrant une porte, un robinet, une fenêtre, en regardant son voisin, en modifiant un peu sa maison, son appartement. Et on voudrait nous faire croire que c’est un art inabordable, que c’est l’œuvre des techniciens, des politiques, et que si on fait parler les usagers, c’est démagogique. On oublie aussi que dans une société mécanisée comme la nôtre, c’est peut-être le dernier grand ouvrage fait à la main: il peut y avoir des objets industrialisés, mais tout est assemblé par les hommes et ce qui est invraisemblable c’est qu’on ne joue pas de la diversité que la main  peut apporter, qu’on ne cesse de tendre vers un standard qui ne correspond en rien à l’harmonie humaine». 

Architecture des pauvres et architecture du prince

«Ce qui est incroyable, c’est qu’en effet, il y a d’un côté le monument et très souvent d’ailleurs on forme les étudiants pour tendre vers l’exercice d’un métier du monument – faire un concours pour construire une bibliothèque ou un opéra - alors que dans une vie d’architecte ce n’est pas courant, seuls quelques-uns le font. Quant au logement social, il est trop standardisé par son mode de financement et par une réglementation absurde. On pourrait donc croire qu’il n’y a que ça: d’un côté l’architecture des pauvres, standardisée, de l’autre l’architecture du prince, occasionnelle. On vit en démocratie mais curieusement, si on demande à quelqu’un de citer cinq monuments qu’il aime, on aura en réponse peut-être deux édifices religieux et trois bâtiments monarchiques et rares sont ceux qui mentionneront l’école primaire où ils ont étudié, le dispensaire ou l’hôpital où ils ont été soignés. On est dans une société où l’on doit satisfaire plus que jamais les besoins de chacun, on a des moyens démocratiques de décision qui permettraient de répondre à l’attente de chacun, et pourtant l’architecture que l’on produit est une architecture anonyme qui ne permet pas d’y reconnaître l’harmonie de la démocratie».

Réhabiliter plutôt que détruire

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

«On le voit bien dans les mouvements qui agitent les banlieues. Sans en rendre les architectes responsables, on peut tout de même dire que ce qu’on y a bâti est criminogène. C’est comme si on avait produit une organisation urbaine et une organisation spatiale de l’habitat qui ne peuvent que pousser à la révolte. Je ne comprends pas qu’on n’en tire pas les leçons. Plutôt que de détruire des tours on pourrait les réhabiliter, parce que l’histoire de l’architecture de la ville est faite de la modification de l’architecture et de sa réinterprétation. Le logement social qui a été construit dans une période de crise – en urgence pour reloger les habitants des bidonvilles -  devrait être réinterprété pour la société actuelle. Le logement des nomades ou des sans-papiers, sous prétexte qu’il est provisoire, ne devrait pas être, par exemple, un gymnase à Cachan. On pourrait reloger temporairement ces personnes dans de beaux endroits, y compris des bâtiments publics, dont un grand nombre est inoccupé. L’Etat se plaint d’avoir trop de foncier, trop de demeures aristocratiques qui restent vides ou dont on fait des musées alors qu’on  pourrait en faire des écoles ou des lieux de rencontre. C’est maintenant ou jamais qu’il faut passer à l’acte».

Interpréter l’œuvre pour la faire vivre

«Mettre en scène aujourd’hui Phèdre de Racine permet de réinterpréter le mythe dans le monde contemporain. Pour l’architecture il devrait en être de même. Le ministère de la Culture est dans un bâtiment royal, l’Assemblée nationale républicaine est dans le Palais Bourbon, alors que les Bourbons, on leur a coupé la tête! Et c’est bien pour ça qu’on aime le Palais Bourbon: parce que c’était le lieu de la représentation d’un pouvoir qui est devenu un autre pouvoir, et qu’il a été transformé pour qu’on puisse y vivre. Pour le logement social, on devrait le transformer en prenant en compte que les modes de vie d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes. Le couple, la famille, l’amour ne sont pas ce qu’ils étaient dans les années 50 ou 60, donc le standard de ces années n’est pas bon pour aujourd’hui. Et alors qu’il y 40 ou 60 ans les gens étaient heureux d’entrer dans ces logement sociaux, aujourd’hui ils sont malheureux d’y être. Ces logements devraient donc être modifiés pour répondre aux besoins actuels et pouvoir être transmis. Alors que si on les détruit, on va gommer une partie de l’histoire et surtout on va donner l’impression aux 90% qui vont rester dans les barres qu’ils habitent dans des saloperies, et ils vont encore moins respecter leurs logements et considérer qu’ils sont rejetés de la société. On ne fait donc qu’accentuer le mouvement de rejet. La encore, c’est maintenant ou jamais, sinon l’urbanité ne sera que violence».

Transformer le passé pour le rendre contemporain

«Longtemps les architectes ont considéré que ce qu’on appelait la réhabilitation ou la restauration n’allait pas dans le sens de la modernité.  Moi, quand je suis sorti de l’école, j’avais décidé de ne pas construire et de ne faire qu’un acte d’entretien ou de transformation. Et contrairement à ce que pensent les architectes, quand vous transformez un bâtiment existant, vous parlez plus d’architecture que quand vous construisez un bâtiment neuf. Car dans ce cas vous faites un acte d’autorité sur une collectivité en faisant croire que vous êtes le seul à pouvoir faire cet acte de construction et que toute critique serait une atteinte à la liberté de création. Alors que quand vous réhabilitez, réparez ou restaurez un bâtiment, vous avez comme interlocuteurs le futur usager ou le commanditaire, l’architecte qui est donc le transformateur, et aussi un troisième qui est le bâtiment existant qui se met sans cesse devant vous et vous dit: j’ai été construit avec tel matériau qui n’existe peut-être plus aujourd’hui, alors faut-il le garder, le remplacer ou le recycler ?  Je suis contre la table rase et pour la transformation des choses qui existent. Pas pour tout garder sous prétexte que le passé est indispensable,  mais au contraire pour le transformer et faire qu’il devienne contemporain. C’est pourquoi j’ai souvent utilisé des bâtiments ou des œuvres d’art pour «mettre en scène» ma méthode».

C’est le cheval qui l’a dit

« L’art est intouchable, y compris dans le droit moral français : une œuvre d’art c’est l’œuvre d’un artiste, de son auteur. Alors que si vous faites un logement social et que vous dîtes «J’ai entendu l’usager dire…», on vous répondra que l’usager on n’en a rien à faire,  qu’on n’a pas à l’écouter. Mais si  vous dites «c’est l’artiste qui l’a dit» ou, comme lorsque je fais des bâtiments pour Bartabas, «c’est le cheval qui l’a dit», parce que  le cheval pour des raisons artistiques a besoin d’une hauteur de tant, d’un diamètre de tant sur la piste. Parler pour un cheval, parler pour un bâtiment qui existe, parler pour un artiste qui va définir la dimension d’un plateau, un musicien qui va définir l’acoustique, fait que personne ne va vous dire «non, ce n’est pas comme ça». Tandis que si quelqu’un disait : «je veux ce rouge pour mon logement», on l’enverrai balader. C’est pourquoi j’ai fait plus de bâtiments culturels que de logements. Mais maintenant, avec l’autorité que je commence un petit peu à avoir, j’aimerais m’attaquer à deux choses : au logement social, donc aux tours, et à la vieillesse. En réfléchissant au logement social on n’a pas pensé au fait que les enfants allaient peut-être rester plus longtemps sous le toit familial et qu’on aurait peut-être aussi besoin de garder avec soi des personnes âgées. Et les logements sociaux ne sont pas du tout adaptés aux personnes âgées, ni aux personnes handicapées, ni aux famille monoparentales, ni aux chômeurs».

Une architecture humaniste et libertaire

«L’architecture ne peut pas être autrement qu’humaniste. L’homme à un moment donné, pour se protéger, a commencé à construire. Puis il a découvert que construire pour se protéger du vent, des bêtes sauvages, n’était peut-être pas suffisant, qu’il fallait avoir du plaisir à habiter ces abris, avoir du plaisir à montrer à l’autre ce qu’il savait faire, peut-être l’aider. Je pense que dans l’histoire de l’humanité, l’architecture c’est le lien social. On ne construit pas pour soi seul, c’est le début de la civilité, donc l’architecture est obligatoirement  humaniste. Et pour moi, libertaire.

Je dois ajouter que j’ai arrêté de faire de l’architecture en allant en Afrique. Parce que j’ai découvert pendant mon service militaire qu’il y avait des pays que l’on déclarait incapables de construire et qui avaient une architecture vernaculaire absolument merveilleuse. C’est là que j’ai compris qu’il fallait arrêter de construire. Et donc à tous ceux qui habitent des maisons qui ne sont pas sur le modèle occidental je leur dis : qu’ils les gardent le plus longtemps possible».

                                               Propos recueillis par Danielle Birck

portrait

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