Photographie
Willy Ronis, un passeur d’histoire
(Photo : Willy Ronis/Agence Rapho)
Le Paris des petites gens, celui des métiers disparus, celui de la rue en liesse ou en colère : c’est un véritable résumé de Paris qui est exposé dans le son salon d’honneur de l’Hôtel de Ville, le Paris que, toute sa vie, Willy Ronis a fidèlement, tendrement et éperdument aimé. Né en 1910, le photographe a traversé le siècle et gardé sa mémoire, conservant comme autant de moments d’anthologie le souvenir du rémouleur, du charpentier ou du vitrier, en passant par celui de l’homme-sandwich dont la silhouette dégingandée déambule sur les grands boulevards. Des quelque 200 tirages, choisis avec l’auteur pour cette rétrospective, se dégage avant tout une infinie tendresse pour les gens simples. Dans son livre intitulé Paris éternellement, (éditions Höebeke) -réédité pour l’exposition-, Willy Ronis explique que son œuvre est bâtie comme : « une marche à petits pas vers une représentation poétique du bonheur modeste ».
(Photo : Willy Ronis/Agence Rapho)
« Je mourrai le cœur à gauche, comme j’ai vécu »
On distingue peu de photos de guerre chez Willy Ronis. D’origine juive lithuanienne du côté de sa mère, et ukrainienne du côté de son père, il a en fait quitté Paris, une ville trop dangereuse pour lui pendant la Seconde Guerre mondiale, préférant se réfugier en zone libre : « Je n’ai pas voulu porter l’étoile jaune. En 1941, j’ai traversé clandestinement la ligne de démarcation et j’ai rejoint une copine à Nice », explique-t-il. La guerre terminée, il revient à Paris et cumule les contrats avec de grands magazines comme Time, Life, Point de vue, Regards (la revue du PCF, créée par Aragon) : on se souvient du charpentier qui montre sa fiche de paye « 48 heures par semaine : voilà pourquoi ils font grève ! » parue dans le magazine Regards du 10 mars 1950 et, plus tard, la série reportage de Rue de la Huchette, 1957, qui montre quelques adolescents un peu à la dérive annonçant l’époque des premiers Beatniks.
(Photo : Willy Ronis/Agence Rapho)
« Je mourrai le cœur à gauche, comme j’ai vécu », affirme Willy Ronis dont le travail s’apparente à celui de l’école humaniste : le photographe social et engagé a croqué la rue qui a de la voix, celle des grandes fêtes de la gauche française (Fête de l’Huma, Garches, 1934) ou celle des occupations d’usine et des manifestations (Manifestation au mur des Fédérés ; Rose Zehner, grève aux usines Javel-Citroën, 1938), ou bien encore celle des grands rassemblements populaires (Commémoration du XXe anniversaire de la mort de Jaurès ; Front populaire, 14 juillet 1936). Se reconnaissant, comme le souligne la commissaire de l’exposition, Virginie Chardin, « des affinités avec les photographes américains comme Walker Evans ou Dorothea Lange, qui témoignent à la même époque du sort des paysans américains pauvres », Willy Ronis a toujours défendu un idéal politique de fraternité et de solidarité.
« Je suis un Parisien heureux d’être intoxiqué par sa ville »
Non, décidément, même s’il a montré qu’il maîtrisait parfaitement l’art de la composition, et ce très jeune (la Tour Eiffel, 1927), la photo d’architecture, trop statique à son goût, n’a jamais été sa tasse de thé. Willy Ronis lui a toujours préféré la ville en mouvement, dans tous ses états de vie, de démolition et de reconstruction. « Je ne fais pas des relevés d’architecte mais des chansons sentimentales. Je suis un mémorialiste de la poésie des rues (…) un Parisien heureux d’être intoxiqué par sa ville ». Du Panthéon à Montmartre, des Halles au jardin du Luxembourg, il a « goûté la rue » : certes les quartiers populaires de Belleville (où il vit aujourd’hui) et de Ménilmontant ont été ses sujets cultes, mais il a aussi -non sans nostalgie et mélancolie- regardé la ville se moderniser et se transformer : le Trou des Halles, le Front de Seine, les cabines téléphoniques du RER, le Centre Pompidou.
(Photo : Willy Ronis/Agence Rapho)
Il se rêvait compositeur de musique. Il fut compositeur d’images. Né en 1910 d’une mère professeur de piano, et d’un père, ouvrier retoucheur dans un studio de photographie, Willy Ronis est formé à la sensibilité artistique, pétri de musique et de peinture, « un art qui instruira chez lui l’importance de la composition et de l’équilibre des corps dans l’espace », explique-t-il. En 1936, son père meurt et le magasin paternel, en faillite, est abandonné aux créanciers. A 26 ans la même année, il reprend en quelque sorte le flambeau, et enterre ses velléités de devenir violoniste. La photographie est plus lucrative, il achète un Rolleiflex à un Allemand et se lance dans l’aventure du reportage photo en pigeant pour la presse de gauche, dont il se sent proche. En 1981, l’arthrite contraint Willy Ronis à délaisser la photographie, cette maîtresse de toute une vie. Fier de pouvoir dire : « Je n’ai jamais menti », et lègue une œuvre riche de 90 000 clichés à l’Etat, en 1983.
par Dominique Raizon
Article publié le 18/01/2006 Dernière mise à jour le 18/01/2006 à 10:51 TU