France
Balades dans le «Paris arabe historique»
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Le quartier Latin, un quartier mythique situé au cœur de Paris et plus précisément sur la rive gauche de la Seine, haut lieu universitaire polarisé autour de la Sorbonne et du Collège de France, garde les traces des échanges culturels qui se sont noués entre la France et le monde oriental depuis le Moyen-Age et la Renaissance. « La relation culturelle franco-arabe n’a pas démarré avec la colonisation ou l’immigration », a déclaré le ministre délégué au Tourisme, Léon Bertrand, à l’inauguration de ce parcours qui, a-t-il souligné « n’est pas une simple promenade dans Paris. Il apporte une contribution au dialogue entre nos civilisations ». D’autres lieux comme l’église Saint-Julien-le-Pauvre, la Grande Mosquée, et l’Ima attestent que ces relations se sont poursuivies au XVIIIe siècle, sous l’Empire jusqu’à nos jours. Tous ces monuments ponctuent, comme autant de repères, une promenade pédestre d’environ deux heures que propose de faire découvrir l’institut du monde arabe (Ima), baptisée le Paris arabe historique. La promenade se termine place Mohamed V, où a été inauguré l’Ima en 1987, un grand centre culturel -qui a pour vocation de développer la connaissance du monde arabe et de promouvoir sa culture auprès des publics français et européen.
Avec ses hauts bâtiments à l’aspect sévère et monastique, la Sorbonne, premier Collège (à l’origine, « maison d’étudiants ») fondé dans le quartier de l’Université en 1257 est un nom qui éveille tout un passé de gloire intellectuelle : or, ce théâtre des « disputes » philosophiques qui firent de Paris la capitale intellectuelle de l’Europe n’est pas sans lien avec le monde arabe. Dès le Moyen-Age, au XIe siècle, des religieux et des érudits du monde arabe (Avicenne, au XIe siècle, puis Averroès -Ibn Rushd- au XIIIe siècle) ont contribué à sortir l’Occident de l’obscurantisme dans lequel il était plongé, en l’ouvrant aux philosophes grecs et aux traductions d’Aristote. Après l’échec des croisades, l’Eglise ayant pris conscience de la puissance du monde arabe, de nombreux moines apprennent l’arabe : le premier glossaire latin-arabe date du XIIe siècle. Mais c’est surtout sous François Ier, en 1530, qu’est créé un collège de lecteurs royaux pour apprendre des langues orientales, le futur Collège de France, qui sera fréquenté par les religieux chargés d’évangélisation, et par les médecins.
Paris oriental, Paris musulman
Dès le XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe s., le siècle des Lumières, la France accueille régulièrement les communautés chrétiennes d’Orient. Au XIXe s., des lieux de culte leur seront spécialement affectés : Saint-Julien-le-Pauvre en 1889, Notre-Dame-du-Liban, en 1913, puis Saint-Ephrem, en 1925. Fermée à la Révolution, transformée successivement en magasin à sel puis en dépôt de marchandises, la basilique Saint-Julien-le-Pauvre était vouée à la démolition quand son salut vint de l’Orient : en juillet 1886, quatre négociants palestiniens grecs-catholiques reçurent du ministre de l’Intérieur, le droit d’ouvrir une chapelle de leur rite -byzantin, originaire des pays arabes du Proche-Orient-, à Paris. Aujourd’hui, la liturgie des grecs-melkites (ou melchites) catholiques -des roûms ou Romains d’Orient, ou Byzantins- est célébrée en français, en arabe et en grec.
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Le parcours du Paris arabe historique comprend aussi une visite de la Grande Mosquée de Paris inaugurée le 15 juillet 1926, en présence du roi du Maroc, Moulay Youssef, du bey de Tunis, et du président de la République de l’époque, Gaston Doumergue. Son minaret, de 26 mètres de hauteur, domine des jardins intérieurs, des patios de marbre rose, des vasques, des allées carrelées de mosaïques polychromes : la mosquée a été élevée en mémoire des quelque 100 000 musulmans du Maghreb et d’Afrique morts pour la France, lors de la Premier Guerre mondiale. Cette mosquée est le bâtiment phare, mais dès le milieu du XIXe, une communauté musulmane vivait à Paris et, en 1855, la ville de Paris avait déjà créé un carré musulman au cimetière du Père-Lachaise.
D’autres monuments, d’autres repères
« Ces quelques monuments ne sont toutefois que quelques repères. Des échanges culturels, intellectuels et spirituels entre la France et l’Orient n’ont cessé de se tisser au fil des époques », insiste Imane Mostefaï, conférencière à l’Ima, qui rappelle que « sous le règne de Louis XIV, les échanges diplomatiques avec l’Empire ottoman se sont multipliés, créant une véritable ferveur pour l’Orient. » Les ambassadeurs revenus conquis, Louis XIV avait confié aux jésuites de Paris le soin d’accueillir quelques jeunes orientaux au collège Louis-le-Grand (le futur lycée du même nom), et Colbert, dans le cadre de sa politique de développement du commerce avec l’Orient, avait fondé une Ecole des jeunes de langues pour former des traducteurs -ou drogmans- qui deviendra, en 1795, l’actuelle Ecole des langues orientales ou « Langues O ».
Une fascination réciproque
« Il ne faudrait pas oublier, souligne Imane Mostefaï, que cette fascination est réciproque ». « Toutes les librairies arabes sont concentrées dans ce Ve arrondissement parisien, et c’est là, sous le Second Empire, que fleurit la presse arabophone : plus de vingt journaux et revues à vocation culturelle, politique ou satirique, paraissent en arabe entre 1859 et 1919. Ils seront divulgués ensuite dans tout le monde arabe. C’est à Paris qu’est née la pensée révolutionnaire du monde arabe, la nahda, qui a mis fin au joug ottoman. Les campagnes napoléoniennes en Egypte (1798) avaient créé un tel choc de la modernité que le Pacha Mehemet Ali avait envoyé des délégations d’étudiants à Paris (en 1826) pour qu’ils découvrent la pensée française, apprennent la langue et les disciplines scientifiques. Paris comme capitale intellectuelle a joué un rôle essentiel pour la pensée arabe : au début du siècle les librairies orientalistes se multiplient », explique Imane Mostefaï. L'obélisque placé au milieu de la place de la Concorde, et qui marquait initialement l'entrée du temple d'Amon, palais de Ramsès III, vient de Louqsor. Le Pacha Mehemet Ali, vice roi d'Egypte, l'a donné à la France en 1829. Son jumeau est toujours en place à Louqsor.
par Dominique Raizon
Article publié le 24/03/2006 Dernière mise à jour le 24/03/2006 à 15:19 TU