France
Clearstream : Gergorin ne veut pas porter le chapeau
(Photo: AFP)
Chaque jour, Jean-Louis Gergorin endosse un peu plus le plumage du «corbeau». Il a beau refuser le terme, il est vrai peu flatteur, qui sous-entend anonymat et délation, c’est bien lui qui a fait parvenir au juge Van Ruymbeke les deux premiers courriers contenant des listes falsifiées de comptes Clearstream. A en croire ses explications, sa démarche ne visait pas à nuire à quelqu’un mais à obtenir la vérification d’informations qui lui paraissaient crédibles grâce aux moyens mis à la disposition de la justice. Ce qu’il voulait, lui, c’était essayer de découvrir si les trafics qu’il soupçonnait de porter atteinte aux intérêts du groupe Lagardère -et peut-être à ceux du pays- existaient réellement. En fait, il se situait sur la même ligne que Denis Robert, le journaliste qui avait affirmé que Clearstream était une grande machine à laver d’argent sale.
Reste que les explications de Jean-Louis Gergorin sont bien tardives. Cela fait deux ans que les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons enquêtent pour débusquer le «corbeau» qui a transmis les listes mettant en cause à tort des personnalités du monde des affaires et de la politique -Nicolas Sarkozy notamment. Ses explications sont, d’autre part, distillées et partielles. Un jour, il admet avoir fait parvenir le premier listing. Le lendemain, il concède qu’il a aussi envoyé le deuxième. Il met en avant une «source» capable de pénétrer le système informatique de Clearstream et qui semble être à l’origine de toutes les informations qu’il a recueillies. Mais il refuse de donner son nom pour la protéger. Malgré tout, il ne dit pas formellement, non plus, qu’il ne s’agit pas d’Imad Lahoud, informaticien d'EADS, sur qui pèsent les soupçons. Alors qu’il sait que ses affirmations vont accréditer la thèse de son implication.
Villepin mis en cause
Décrit comme un esprit brillant, il paraît peu probable que Jean-Louis Gergorin lâche des informations au hasard. Lorsqu’il évoque avec Libération et Le Figaro une conversation avec Dominique de Villepin, le 9 janvier 2004, dans laquelle il propose d’impliquer la DST, les services de renseignement qui dépendent du ministre de l’Intérieur (à l’époque Nicolas Sarkozy), dans l’enquête Clearstream et que celui-ci lui répond : «Certainement pas, Sarkozy va être au courant», il sait ce que cette phrase va renforcer les soupçons sur l’implication du Premier ministre. Peu importe après cela qu’il affirme au Figaro : «J’ai respect, fidélité et amitié, sur un plan totalement non politique, envers Dominique de Villepin». Le mal est fait.
L’insistance qu’il met à présenter le général Rondot comme une «erreur de casting» et à affirmer qu'il n’a pas mobilisé les moyens nécessaires afin de vérifier les informations qu’il lui avait fournies, n’est certainement pas innocente, elle non plus. Elle participe à essayer de démontrer sa bonne foi. Elle répond aussi à une phrase assassine du général dans son interview au Journal du dimanche dans laquelle il glisse que Jean-Louis Gergorin «a déjà eu des visions surréalistes». Dans ses notes publiées par Le Monde, Philippe Rondot va encore plus loin en écrivant : «Gergorin : qu’il se soigne ! » Qui connaît bien châtie bien : Gergorin et Rondot ne sont pas des inconnus.
Gergorin n’a pas été interrogé par les juges
Une chose est tout de même étonnante. Pour le moment, Jean-Louis Gergorin n’a pas été convoqué par les juges d’Huy et Pons. Face à cette situation, l’avocat du général Rondot, maître Morain, s’est interrogé sur la manière de procéder des deux magistrats qui ont mené 16 perquisitions, demandé des expertises ADN et interrogé plusieurs témoins, mais ne se sont toujours pas entretenus avec l’un des principaux acteurs de l’affaire, qui reconnaît pourtant maintenant avoir joué un rôle. Il s’agit, certes, d’une manière de faire valoir une différence de traitement avec son client qui a refusé de se rendre aux dernières convocations des juges et contre lequel ceux-ci vont engager une procédure de réquisition. Mais il est vrai que cette stratégie peut légitimement amener à se poser des questions.
Ce qui est sûre, c’est que dans l’instruction en cours la presse est partie prenante. A qui la faute ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Ces questions ne manqueront pas -et ne manquent déjà pas- de se poser. Dominique de Villepin a, semble-t-il, tranché. Malgré la mise en cause dont il est une nouvelle fois l’objet, le Premier ministre en voyage à la Réunion et Mayotte, a refusé de répondre aux journalistes qui lui demandaient une réaction. Qui ne dit mot consent ?
par Valérie Gas
Article publié le 19/05/2006 Dernière mise à jour le 19/05/2006 à 17:10 TU