Pédagogie

Parcours croisés Centre Pompidou / Ircam

par Danielle Birck

Article publié le 28/03/2008 Dernière mise à jour le 09/05/2008 à 15:49 TU

Créer une œuvre sonore en relation avec une œuvre d’art contemporain : c’est l’expérience inédite qui a été proposée à des élèves de trois lycées professionnels dans le cadre d’un projet pédagogique mené conjointement par le Centre Georges Pompidou et l’Ircam, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique. Ces « Ateliers de la création », s’inscrivent dans la double vocation de pluridisciplinarité et de création des deux institutions. Ils répondent aussi à la nécessité d’ouvrir à un plus large public l’accès à l’art contemporain sous toutes ses formes, ainsi qu’aux nouvelles technologies.

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Le mardi est jour de fermeture du Centre Georges Pompidou. Mais ce 25 mars après-midi,  « Beaubourg », comme on l’appelle familièrement, est ouvert à quelques privilégiés. Ils sont  venus assister à la « restitution »  de l’expérience pilote menée depuis octobre dernier par le Centre Pompidou et l’Ircam, avec trois classes de trois établissements de Paris et de la région parisienne : le lycée Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement de la capitale, les lycées polyvalents Jean Jaurès à Charenton et Louis Blériot à Etampes.

Les élèves, eux, sont sur place depuis quelques heures déjà, pour échanger leurs expériences et peaufiner in situ la présentation publique de leur travail, avec les enseignants et collaborateurs de Pompidou et de l’Ircam qui les ont accompagnés tout au long de ce projet.

Regard, écoute, expression

Un projet qui était une expérience nouvelle pour tous. Pour les élèves, bien sûr,  dont « beaucoup n’avaient jamais mis les pieds à Beaubourg ou à l’Ircam », comme tiendra à le préciser une élève du lycée Beaugrenelle, mais aussi pour les enseignants, les intervenants de Pompidou et de l’Ircam,  sans oublier les artistes. Il faut dire que pour les deux institutions, le partenariat noué à la faveur de ces Ateliers de la création, était lui aussi totalement inédit, comme la démarche pédagogique. Ou plutôt les démarches pédagogiques,  puisque le travail, mené dès le départ avec les équipes enseignantes, a eu deux orientations : « côté Pompidou, c’est le pari du choc esthétique avec l’œuvre, une œuvre décryptée progressivement au fil des séances (…) A l’Ircam, c’est l’inverse : on est parti de l’univers quotidien des élèves, en faisant des prises de son avec eux dans les lycées », explique Cyril Béros, responsable de la pédagogie et de l’action culturelle à l’Ircam.

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Concrètement, cela veut dire qu’après la visite du centre Pompidou  et de l’Ircam par les trois classes, les élèves, essentiellement des filles, du lycée parisien Beaugrenelle (classe de préparation au bac professionnel de secrétariat), ont commencé par le choix et l’étude d’une œuvre au sein du Musée d’Art Moderne – une toile de Yan Pei-Ming, de la série des Survivant(s), représentant Mao sur son lit de mort – et que les élèves, des garçons, du lycée polyvalent Luis Blériot à Etampes (classe de CAP de chaudronnerie), ont démarré par des prises de son dans leur atelier. Dans les deux cas il s’agissait d’acquérir des capacités de lecture, par le regard ou l’écoute, de se forger un point de vue et de pouvoir l’exprimer par le langage, donc d’acquérir des notions et un vocabulaire.

Créer une "scène sonore"

Seconde étape : relier le visuel et le sonore, avec la création d’une œuvre sonore. A l’Ircam, on insiste bien sur le fait qu’il ne s'agissait pas seulement "d'illustrer" l'oeuvre plastique, ou d’un simple environnement sonore, mais de réaliser une "scène sonore". Car il aura fallu travailler sur les sons, les isoler, les mixer avec l’aide d’un réalisateur en informatique musicale dans les studios de l’Ircam. Une interface informatique a d’ailleurs été développée spécialement pour cette expérience, afin de faciliter le travail des lycéens.

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

C’est tout naturellement que les garçons d'Etampes, les oreilles pleines des sons recueillis dans leur atelier de chaudronnerie, ont jeté  leur dévolu sur la sculpture double, Breed,  de Richard Deacon. Ils expliquent comment  la « greffe » de métal sur le bois, la « symétrie » des courbes comme la  « tension » entre le vide et la matière, leur ont inspiré une oeuvre musicale qui s’écoute en déambulant autour de la sculpture. Le concert au théâtre des Bouffes du Nord, où ils ont écouté, avec les autres élèves, des œuvres  de Stockhausen et Manoury, leur a aussi donné des repères.

Cette rencontre avec le répertoire musical contemporain avait été « préparée en amont », comme celle avec Yan Pei-Ming, l’artiste chinois installé en France depuis bientôt trente ans. « Une rencontre chaleureuse, avec un artiste d’origine modeste, comme les élèves, et pour qui les débuts ont été difficiles. Ce qui  leur a montré que la création est ouverte », souligne Marie Rouhète, responsable du service éducatif au Centre Pompidou. Du « contact prolongé » avec le tableau de Yan Pen-Ming et son analyse avec un conférencier du musée, les élèves de Beaugrenelle ont créé une œuvre sonore en résonance avec ce qui se dégage de la toile, entre calme et violence. Avec la découverte que « des mots identiques » peuvent exprimer ce qui est perçu par le regard ou l’oreille.

(Photo : IRCAM)

Quant aux élèves du lycée Jean Jaurès à Charenton, c’est dans le geste qu’ils ont trouvé leur vocabulaire, avec une « performance » alliant mouvement et matériau sonore, réalisée autour de la sculpture de Deacon et filmée en vidéo.

Poursuivre…

« Formidable », sera la conclusion de l’inspectrice générale de l’Education nationale, après avoir assisté à la restitution des trois expériences, à la fois « en spectatrice bienveillante et en inspectrice ». Elle soulignera entre autres « la somme de travail et l’implication de tous »  et le fait que « l’élève était bien au cœur du projet ».  Bref, un projet qu’il faut poursuivre…

C’est aussi l’avis d’Emmanuelle Marquez, de la Direction de l’action éducative et des publics du Centre Pompidou, qui souhaite pouvoir renouveler cette expérience avec « le même type d’élèves ». Tout en soulignant l’obstacle du coût d’un tel projet sur la durée, avec notamment la rémunération des intervenants. Le projet pilote a été financé à la fois par la Délégation au développement et aux affaires internationales (DDAI) du ministère de la Culture, les délégations académiques à l’action culturelle de Paris, Créteil et Versailles et la fondation Lagardère, le principal mécène privé pour l’innovation à l’Ircam. 

« En fait, souligne Franck Madlener, cela participe de la mission de l’Ircam, dans le sens où l’on doit impérativement avoir des projets de recherche extrêmement particuliers, spécifiques, donc des singularités artistiques, et en même temps aller vers une démocratisation  de plus en plus large des outils, des logiciels utilisés… et cette démocratisation passe aussi par ces Ateliers de la création », conclut le directeur de l’Ircam.

(Photo : IRCAM)