France
Clearstream : les juges attrapent le «corbeau»
(Photo : AFP)
Jean-Louis Gergorin évite la prison. Mais de justesse. Les juges d’Huy et Pons avaient, en effet, demandé son placement en détention. Ils n’ont pas obtenu gain de cause. Le juge des libertés et de la détention a décidé qu’il pourrait rester en liberté en échange du versement d’une caution de 80 000 euros. Après 48 heures passées entre les services de la Division nationale des investigations financières (DNIF), où il a été interrogé par des policiers, et une audition de huit heures par les magistrats en charge du dossier Clearstream, son implication dans l’affaire a été établie.
Durant son interrogatoire, l’ancien vice-président d’EADS a reconnu avoir envoyé, entre mai et juin 2004, cinq courriers, présentés jusqu’à récemment comme anonymes, au juge Renaud Van Ruymbeke qui enquêtait à l’époque pour déterminer si la vente de frégates françaises à Taiwan, en 1991, avait donné lieu au versement de commissions. Soit l’ensemble de ceux qui sont arrivés au magistrat, à l’exception d’un seul qui aurait été posté de Lyon. Il s’agit donc d’une version un peu différente de celle qu’il avait donné à la presse, il y a quelques jours, dans laquelle il ne reconnaissait être à l’origine que de deux envois. Pour le reste, Jean-Louis Gergorin a continué à affirmer qu’il était motivé par la seule volonté de dénoncer un scandale de corruption qui impliquait la société Clearstream. Car à en croire son avocat, maître Iweins : «Cet homme est persuadé que l’affaire Clearstream est une véritable affaire, que les listings correspondent à une réalité».
Une stratégie de défense ?
Même si toutes les enquêtes, dont celle menée officiellement par Renaud Van Ruymbeke, ont abouti à démontrer que les listes de soi-disant comptes occultes chez Clearstream, attribués à des personnalités des affaires et du monde politique (comme Nicolas Sarkozy), avaient été falsifiées, Jean-Louis Gergorin persiste à «penser que les vérifications sont insuffisantes», selon son défenseur. A ce stade de l’affaire, cette attitude est soit la traduction d’une tendance au soupçon très prononcée, soit une stratégie de défense.
Il est vrai que, de fait, il s’agit du dernier rempart dont dispose Jean-Louis Gergorin pour justifier l’utilisation des documents informatiques qu’il s’était procuré auprès d’une «source» dont il a persisté à refuser de livrer l’identité. Car s’il s’avérait qu’il n’était pas de bonne foi, cela signifierait qu’il a vraisemblablement participé à la falsification et à la tentative de manipulation. Il n’a certainement pas réussi à convaincre les juges puisque ceux-ci ont prononcé à son encontre la première mise en examen de l’affaire et ont demandé à la suite de son interrogatoire une extension de leur saisine, qui ne concernait au départ que «les dénonciations calomnieuses», aux faits de «faux et usage de faux». Le parquet a accepté. Les juges peuvent donc désormais étendre leur enquête au-delà de l’affaire des envois de courriers à Renaud Van Ruymbeke et s’intéresser à l’origine de la falsification des fichiers.
Identifier la «source»
C’est vraisemblablement pour avancer sur cette question que Jean-Marie d’Huy et Henri Pons ont décidé de convoquer, mercredi 7 juin, Imad Lahoud, l’ex-informaticien d’EADS, engagé par Jean-Louis Gergorin. Celui-ci est soupçonné d’être la «source» dont Jean-Louis Gergorin refuse de donner le nom. Recruté par les services de renseignement français, Imad Lahoud s’était procuré en 2003 auprès de Denis Robert, le journaliste qui a réalisé la première enquête sur Clearstream, les fichiers de comptes de la société luxembourgeoise. Il affirme néanmoins qu’il les a remis et n’a participé à aucune falsification.
Désormais le «corbeau» n’en est plus un. Même si Jean-Louis Gergorin refuse d’être ainsi qualifié, c’est bien lui qui a diffusé les listes falsifiées par un moyen détourné. Renaud Van Ruymbeke affirme d’ailleurs que, contrairement à ce que déclare l’ex-vice président d’EADS, il ne s’est pas entendu avec lui pour que les envois soient faits anonymement. Reste donc maintenant aux juges à établir les motivations et les complicités. Au-delà du cas d’Imad Lahoud, c’est celui de Dominique de Villepin qui est en question [même si les deux magistrats ne sont pas habilités à poursuivre le Premier ministre]. Ce dernier a, en effet, demandé en 2004 deux enquêtes officieuses pour vérifier si les listings étaient exactes ou pas. La première, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, au général Philippe Rondot, chargé du renseignement au ministère de la Défense, la deuxième, après son arrivée au ministère de l’Intérieur, à la DST (Direction de la surveillance du territoire). Elles ont à chaque fois conclu à une tentative de manipulation. Et pourtant, le juge Van Ruymbeke, qui menait ses propres investigations pour vérifier les mêmes informations, n’en a jamais été informé. Pourquoi ?
par Valérie Gas
Article publié le 02/06/2006Dernière mise à jour le 02/06/2006 à 17:17 TU