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Bioéthique

L’Assemblée va décider du sort des embryons

Le projet de révision de la loi sur la bioéthique revient devant l’Assemblée nationale française mardi à l’issue d’un périple débuté il y a deux ans dans la même enceinte et continué devant le Sénat en janvier 2003. Le texte modifié, aujourd’hui défendu par le ministre de la Santé Jean-François Mattéi, maintient l’interdit sur le clonage reproductif et thérapeutique mais ouvre une brèche en faveur de la recherche sur les embryons.
Il aura fallu près de dix ans pour arriver à un nouveau texte sur la bioéthique. La précédente loi a, en effet, été adoptée en 1994 et aurait dû être modifiée cinq ans après. Mais les débats sur ce thème sensible ont pris du retard. Et pour cause, les perspectives ouvertes par les avancées de la recherche ont posé la question des limites à imposer en terme de manipulation et d’expérimentation. Notamment concernant l’utilisation des embryons humains qui constitue la principale pierre d’achoppement du nouveau texte.

Le projet de loi modifié par le Sénat prévoit une interdiction de principe de la recherche sur l’embryon. Il revient donc en arrière par rapport à la première proposition de l’Assemblée nationale où elle était possible sur les embryons surnuméraires, c’est-à-dire créés in vitro dans le cadre de la procréation médicale assistée et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. Le Sénat autorise néanmoins les chercheurs à travailler sur ces embryons pendant une période dérogatoire de cinq ans à partir du moment «où de telles recherches sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs». Par contre, il interdit la création d’embryons humains en vue d’être utilisés pour la recherche. Dans ce contexte, le clonage reproductif qui est assimilé à un «crime contre l’espèce humaine», bien sûr, mais aussi le clonage thérapeutique restent interdits.

Des bébés-médicaments

La dérogation sur la recherche embryonnaire proposée par le Sénat vise à répondre, au moins partiellement, à une demande pressante exprimée par les chercheurs. Ces derniers estiment qu’une interdiction totale bloquerait tout espoir de réaliser, en France, des avancées dans le domaine de la recherche fondamentale notamment grâce à l’utilisation des cellules souches embryonnaires. Ces dernières ont, en effet, des vertus particulières. Elle sont susceptibles de se diversifier en tous types de cellules et tissus. Les chercheurs espèrent donc qu’elles permettront un jour de régénérer et soigner n’importe quel organe. Mais pour le député socialiste Alain Claeys, la proposition du Sénat «est inacceptable, car comment limiter dans le temps les recherches et qui peut assurer que sa recherche va déboucher sur des progrès thérapeutiques». Selon lui : «On sent quand même que le statut de l’embryon revient en force». Le parti socialiste a d’ailleurs annoncé que si le texte restait «en l’état», il voterait contre.

Dans le cadre proposé par le Sénat, c’est la nouvelle agence de biomédecine qui aura la tâche de valider les projets de recherche sur les embryons surnuméraires qui lui seront soumis. La mise en place de cette instance de régulation prendra vraisemblablement de longs mois et dans l’intervalle, des mesures transitoires devront être décidées. D’ores et déjà, l’importation de lignées de cellules souches en provenance d’Australie, a été autorisée de manière exceptionnelle en attendant le vote de la loi.

Cette agence devrait aussi avoir vocation à intervenir dans le domaine des greffes et de l’assistance médicale à la procréation. Pour ce qui concerne les transplantations d’organes, le nouveau texte prévoit de limiter le champ des donneurs vivants potentiels au père et à la mère du receveur, ou par dérogation au conjoint et aux parents en ligne directe (frère, enfants, grand-parents). Il s’agit dans ce cadre d’éviter les pressions étant donné la nature des risques encourus par les donneurs.

Reste le thème des «bébés-médicaments», c’est-à-dire des enfants qui seraient conçus in vitro et sélectionnés en fonction de leur compatibilité avec leur frère ou sœur aîné atteint d’une maladie nécessitant, par exemple, une greffe de moelle osseuse pour laquelle ils seraient les seuls donneurs possibles. Ces cas restent très rares mais existent, notamment pour les enfants qui souffrent de la maladie de Fanconi. Et la question est donc de savoir si on peut autoriser les médecins à utiliser les techniques du diagnostic pré-implantatoire (DPI) qui permettent actuellement de détecter, par exemple, des maladies génétiques chez les embryons, dans l’objectif de choisir celui qui permettrait de guérir un autre enfant. Jean-François Mattéi a réaffirmé son opposition à cette pratique qui fait courir le risque «d’une instrumentalisation de l’enfant à naître» et a insisté sur le fait que c’est l’intérêt de l’enfant qui prime. Mais cette opinion n’est pas partagée par Alain Claeys qui demande «un élargissement du DPI» lorsque l’enfant n’est pas conçu dans l’unique but de soigner son aîné, pour répondre à l’attente des familles concernées par cette terrible situation. La solution pourrait alors être, de son point de vue, que les équipes médicales soient chargées d’évaluer la motivation des parents avant de pratiquer un DPI. Les députés devront trancher.



par Valérie  Gas

Article publié le 09/12/2003