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Congo-Brazzaville

Mandat d’arrêt international contre le général Dabira

Le tribunal français de Meaux a lancé un mandat d'arrêt international contre l'inspecteur général des armées, le général Norbert Dabira, dans le cadre de l’instruction des 353 victimes des rafles effectuées sous le régime Sassou Nguesso en mai 1999, au Beach de Brazzaville, au sortir de la guerre civile. Le général vient d’annoncer lui-même cette nouvelle poursuite en se déclarant «outré par cet acharnement» des juges de Meaux, en région parisienne, où il est propriétaire d’une résidence désormais infréquentable puisque son interpellation (en France ou à l’étranger) le conduirait directement en maison d’arrêt pour être présenté à un magistrat en mesure de décider sa mise en examen.
«J'ai l'impression que les juges veulent faire de moi le bouc-émissaire de cette affaire pour mettre en difficulté le pouvoir de Brazzaville», déclare le général Dabira, en jurant de son innocence dans les rafles perpétrées les 5 et 14 mai 1999 à Brazzaville parmi des jeunes gens fraîchement rapatriés, après un exil de six mois, de l’autre côté du fleuve, au Congo-Kinshasa. A l’époque, un accord tripartite avait été signé sous l’égide de l’Onu par les autorités du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) et celles des deux Congo. A l’époque, le président Denis Sassou Nguesso avait d’ailleurs pris la tête d’une campagne nationale prônant le retour au pays des populations chassées par la guerre civile qu’il venait de remporter avec le concours de l’armée angolaise, mais aussi de renforts tchadiens et de supplétifs issu de l’armée de l’ancien régime rwandais. Selon le témoignage des rares rescapés et des enquêteurs d’organisations des droits de l’homme, des éléments de la Garde présidentielle attendaient les rapatriés au port fluvial de Brazzaville (le Beach). Tous racontent un tri conduisant à la mise à mort de centaines de jeunes gens originaires en majorité de la région du Pool et accusés d’avoir servi dans les milices Ninja de l’ancien Premier ministre Bernard Kolelas.

Sous la pression internationale, la justice congolaise avait ouvert une instruction en août 2000. L’enquête n'avait pas avancé mais elle avait été relancée en 2002, à la suite de l'ouverture d’une instruction judiciaire en France. Différentes personnalités politiques et des officiers des forces de sécurité avaient été entendus. Mais finalement, nul n'a été inculpé. Cinq ans après la tragédie, les familles des «disparus du Beach» attendent toujours de savoir où gisent les corps de leurs enfants. Des témoins assurent que beaucoup ont été brûlés près du camp de la garde présidentielle. D’autres seraient enfouis aux abords de différents commissariats. Bravant les menaces des autorités, certaines familles se sont organisées en un comité qui a pu recenser 353 noms. Les autres ne souhaitent même pas être citées. Le porte-parole du comité des familles, le colonel Touanga rappelle aujourd’hui que, si la commission d’enquête parlementaire demandée au Congo a été effectivement formée le 2 juillet 2001, ses initiateurs ont pris soin de «fixer à leur rapport un délai dépassant la durée de leur mandat». L’enquête est restée sans suite.

Dabira renvoie la responsabilité au sommet de l'Etat

Le magistrat commis par les députés est mort. Après avoir admis des «dérapages et des règlements de compte», les autorités congolaises paraissent désormais décidées à nier toute réalité à ce qui s’avèrerait un crime contre l’humanité. Il est vrai que cette qualification fait sauter toute immunité pénale, si présidentielle soit-elle. Or, dans cette affaire, les plaintes déposées le 5 décembre 2001 devant le Tribunal de grande instance de Paris par la Ligue des droits de l’homme, la Fédération internationale des droits de l’homme et l’Observatoire congolais des droits de l’homme visent le chef de l’Etat, Denis Sassou Nguesso – qui en tant que tel a au minimum obligation de faire la lumière sur des crimes qu’il était censé empêcher –, le ministre congolais de l’Intérieur, le général Pierre Oba, le commandant de la garde présidentielle, le général Blaise Adoua et l’inspecteur général des armées Dabira. Ce dernier dispose d'une carte de résident en France, où il est propriétaire dans la juridiction de Meaux et où trois rescapés ont esté en justice contre lui et ses co-accusés cités par les organisations humanitaires. Comme eux, Norbert Dabira est accusé de torture, crimes d'enlèvement et crimes contre l'humanité. Deux juges l’ont entendu à Meaux, en juillet 2003, comme témoin assisté, en compagnie de son avocat français Jacques Vergès.

Convoqué une deuxième fois, le général Dabira ne s'est pas présenté, se conformant d’ailleurs aux ordres du gouvernement congolais. Ce dernier a été débouté le 17 juin 2003 par la Cour internationale de la Haye (CIJ) d’une requête lancée le 9 décembre 2002 pour arrêter l’enquête judiciaire française. La CIJ n’a pas jugé recevable la plainte de Brazzaville invoquant un «préjudice irréparable» porté à son image et à ses relations avec Paris. Depuis la même période, les tribunaux français sont d’ailleurs compétents pour juger des crimes contre l’humanité commis hors du territoire national. Par ailleurs, le 18 septembre 2002, les juges de Meaux avaient également transmis une demande de «déposition écrite» au président Sassou Nguesso en visite à Paris, lui évitant «courtoisement» de répondre aux questions de visu qu’ils étaient en droit d’aller lui poser en compagnie d’un officier de police judiciaire. Depuis, quand l’occasion s’en présente, le chef de l’Etat fustige avec mépris les «petits» juges qui continuent donc de pourchasser le général Dabira. Inspecteur général des armées, ce dernier se targue aussi, dans son livre sur la guerre civile, d’avoir organisé les milices «Cobra» du général Sassou Nguesso. Lourdement impliquées dans de multiples exactions, elles sont également citées dans l’affaire des disparus du Beach.

«Mes fonctions ne font pas de moi une autorité clé du dispositif de défense dans notre pays. Tous les ordres émanent du ministre de la Défense ou du chef d'état-major des armées. S'il y a eu faute administrative, ce n'est pas à moi qu'on peut l'imputer», plaide désormais le général Dabira, renvoyant la responsabilité au sommet de l’Etat, dont visiblement il se sent assuré de recevoir la meilleure des couvertures.

A écouter également :

Marcel Touanga, président du collectif des familles des disparus (23/01/2004, 0'59")

Alain Akouala, le ministre congolais de la Communication (23/01/2004, 0'58")



par Monique  Mas

Article publié le 22/01/2004