Chronique armée-défense
La protection des ressortissants, invoquée une nouvelle fois à N'Djamena, est un classique de la «légitimation» de la présence de soldats français, comme cela a été le cas à Kigali, Libreville, Brazzaville, Dakar, Djibouti, Abidjan.
Dans le cas de l'évacuation des étrangers présents au Tchad, si elle devait un jour s'imposer, les dispositions sont prises, les troupes entraînées, et - via le Cameroun voisin - l'opération ne semble pas poser de graves problèmes techniques.
Mais l'expérience prouve, en ce qui concerne ces opérations «humanitaires» françaises, que de la protection ou «exfiltration» des étrangers, on passe souvent, qu'on le veuille ou non, à une présence qui dure, voire à une intervention en bonne et due forme. Voire, par exemple, la Côte d'Ivoire !
Dans le cas tchadien, à la limite, ce n'est même pas le problème. L'armée française, avec ou sans ressortissants, y est présente depuis le début des années 60, pour ne pas remonter à la période coloniale ! Neutre, ou pas neutre : ça dépendait des cas ! Après l'avoir combattu, elle avait aidé par exemple Hissen Habré à contenir les Libyens. Pour autant, l'armée française ne lui avait pas consenti ensuite les moyens d'empêcher un certain Idriss Deby, ex-chef militaire accouru depuis le Soudan, de marcher sur N'Djamena. Tout comme ont tenté de le faire, il y a quelques jours, les hommes de l'actuel chef rebelle, Mahamat Nour.
Mais c'était un temps où point n'était trop besoin de circonvolutions, où la France assumait son rôle de «gendarme» de l'Afrique, et où elle en avait un peu plus les moyens. Alors qu'aujourd'hui, la théorie du «soutien sans participation», développée par les porte-parole du ministère français de la Défense et des Affaires étrangères, a le goût de l'ambiguïté, avec sa dose de glissade ou de dérapages toujours possibles.
Exemple : jeudi et vendredi, deux rotations de Transall de l'armée de l'air basés à N'Djamena, acheminent vers le sud plusieurs dizaines de soldats tchadiens et des armements légers. Autre exemple : les clichés pris par les Mirage ou l'Atlantic français, sur l'avancée des colonnes rebelles, et communiqués aux militaires tchadiens. Ou encore, les livraisons de munitions. Et surtout, mercredi, ce «tir» dit «d'avertissement» ou de «semonce», par un Mirage F1, à l'avant du convoi rebelle, qui roulait à vive allure vers N'Djamena : simple «signal politique», a-t-on expliqué à l'état-major français ; «geste d'hostilité guerrière», ont fait valoir les rebelles, pour qui Paris a ainsi «choisi son camp».
De fait, le contingent baptisé "Epervier", aura été, dans cette crise, à la limite de l'engagement militaire pendant que le gouvernement français assurait le plus fort soutien politique possible à un régime qui ne fait certes pas l'unanimité - dans son pays pas plus qu'à l'extérieur - mais pour le remplacement duquel il n'y aurait pas de véritable alternative. Un soutien qui aura conduit Paris à endosser à 100% la thèse du régime de N'Djamena affirmant faire face à une agression venue du Soudan. Ou à s'accrocher à la thèse de la «légitimité» politique d'un président tchadien certes élu, et reconnu, mais, dans quelles conditions ! Un président tchadien qui était arrivé au pouvoir lui aussi par les armes, en 1990, au surplus guidé par les services de renseignements français.
par Philippe Leymarie
[16/04/2006]
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