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Bamako, Carton Rouge au travail des enfants
1er février
2002
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Sauver les
enfants maliens, africains, les enfants du monde ©
DR |
De notre correspondant
à Bamako
Quartier populaire de Médine
à Bamako. Au pied d'une colline, la plus grande
ferblanterie du Mali, la plus grande manufacture artisanale
du pays. Environ trois milles forgerons. De la ferraille,
du bruit, du feu. Le fer fond. Ici, le produit fini ?
Seaux, charrues, marmites, etc. sont vendus dans tout
le Mali. Et même dans la sous-région.
«Je m'appelle Moussa Koné. J'ai 12 ans.
Chaque jour, je gagne 200 CFA et je travaille ici pendant
10 heures», témoigne le gamin habillé
en haillons. Ici, dans cette forge , plus de 60% des travailleurs
sont des mômes. Moyenne d'age de 12 ans. Abandonnés
par la société, sous-payés, ils travaillent
sous l'il vigilant de leurs maîtres, de leurs
propres parents. Le travail est dur, très dur.
Impossible pour ces gamins d'émerger de ce labyrinthe.
Impossible ? Pas vraiment.
C'est pourquoi le Bureau International du Travail (BIT)
et la Confédération africaine de football
(CAF) ont profité de la 23ème édition
de la CAN pour lancer une vaste opération «Carton
rouge au travail des enfants». Sauver les enfants
maliens, africains, les enfants du monde tout court.
«Nous avons choisi l'expression carton rouge
parce qu'elle s'articule autour d'un concept familier
au monde du football : le carton rouge que sort l'arbitre
pour exclure un joueur du terrain», explique
un responsable du BIT. Ces mômes travaillent à
la dure dans les fermes, les mines, des carrières
ou comme domestiques. Victimes aussi des réseaux
de prostitution, utilisés dans les conflits armés,
ils sont à la merci d'un monde féroce.
«Ici, il y a une nette prise de conscience du
phénomène»
Huit des seize équipes
de foot présentes à Bamako sont de la sous-région.
Donc, il y a lieu forcément d'évoquer ici
le trafic des enfants. Après un trajet entre Sikasso,
dans le sud du Mali, et Korhogo, dans le nord de la Côte
d'Ivoire, ils sont «jetés» dans les
exploitations agricoles ivoiriennes. Conditions de vie
et de travail difficiles. Une bouillie et une pâte
de maïs comme repas.
Battus, sous payés,
ou simplement pas du tout, ils sont souvent, selon l'Unicef,
traités comme «des bêtes de somme».
Hélas ! des cas de décès sont signalés.
Bref, conscients de la vie difficile des enfants qui travaillent
un peu partout en Afrique et dans le monde, les initiateurs
de l'opération «Carton rouge» ont mis
les grands moyens afin de défendre leur cause.
Messages de sensibilisation diffusés par d'actuelles
et anciennes gloires du foot africain. Des milliers de
femmes et de jeunes habillés aux couleurs de la
campagne scandant «Carton rouge au travail des enfants».
Fanions, casquettes, expositions et autres banderoles
rythment la campagne dans les cinq villes maliennes (Bamako,
Sikasso au sud, Kayes à l'ouest, Ségou et
Mopti au petit nord).
Mais ici, la lutte n'est pas que médiatique. Au
pas de charge, un lobbying est fait. Incitation des gouvernements
à ratifier la Convention 182 du BIT sur l'élimination
des pires formes de travail des enfants (100 pays dont
une trentaine en Afrique l'ont ratifié). Accélération
du programmes «Abolition du travail des enfants».
Là, une nouveauté. A côté de
la répression, la pédagogie.
Cas pratique, dans la ferblanterie
de Bamako. Après une étude sociologique,
les adultes ont été approchés. Sensibilisés.
Résultat, ils ont donné leur feu vert pour
«l'extraction» de la forge de quelques centaines
de mômes. Encadrés par des éducateurs
spécialisés, ils opèrent actuellement
leur réintégration dans la société.
«Ces enfants que nous encadrons apprennent aujourd'hui
à lire, à écrire, mais leur véritable
problème est avant tout psychologique»,
confie M. Tall, l'un des porte-drapeaux de la lutte contre
le travail des enfants au Mali.
M.Tall ne désespère
pas. Dans le monde dit-il, 250 millions d'enfants dans
la tranche d'âge comprise entre 5 et 14 ans travaillent
souvent à la dure. 80 millions de ces enfants se
trouvent en Afrique. Les chiffres donnent le vertige.
«Avec des campagnes de ce genre, nous arriverons
à faire baisser la tendance, surtout qu'à
Bamako, il y a eu une nette prise de conscience du phénomène»
conclut, optimiste, M. Tall.
Serge Daniel