Un
peu d'évasion pour les détenus de Bamako
3 février
2002
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«La CAN ? C'est
pour nous un avant-goût de liberté»,
confie un détenu
© Patrice Tharreau
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De notre correspondant à
Bamako
Maison d'arrêt de Bamako,
il est 15 heures TU. Agitations inhabituelles. Bruits de portes.
Cris stridents. Les prisonniers essayent-ils de faire la belle
? S'agit-il d'une mutinerie ? Tout faux. Les 1366 prisonniers
dont environ 400 femmes s'apprêtent à voir un
match de la Coupe d'Afrique des nations (CAN).
«C'est pour eux une nouvelle parcelle de liberté»,
explique M. Mamourou Doumbouya, régisseur de la prison.
C'est vrai qu'avant l'événement, un ou deux
postes téléviseurs seulement permettaient aux
détenus d'avoir un contact «magique» avec
le monde extérieur.
A l'occasion de l'événement, un effort supplémentaire
a été fait par l'administration. Résultat,
au total douze postes téléviseurs sont sur les
lieux. Le partage a été minutieux. Les personnes
âgées regardent les matchs dans leurs cellules
entr'ouvertes. Elles ne sont pas si mobiles.
Les détenus sous haute surveillance se régalent
aussi en cellule. Mais dans leur cas, parce qu'ils sont dangereux,
ils visionnent la compétition derrière les barreaux.
C'est vrai que tel détenu est condamné à
mort, détention commuée en détention
à perpétuité. Tel autre, mains gantées
de sang, est condamné à vingt ans de réclusion.
Il n'empêche. Tout ce monde est autorisé à
participer la «fête». Et ils en profitent.
On oublie ici les soucis, ne serait-ce pour un moment. L'espoir
fait vivre. Pourquoi pas ?
Le train-train quotidien de
la réclusion
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Derrière les murs,
1366 prisonniers dont environ 400 femmes vivent la CAN
à travers la télévision
©Patrice Tharreau
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Les cadres maliens en attente
de jugement ou déjà jugés sont les plus
gâtés. Dans la cour de la prison appelée
encore «lycée technique», ils sont agglutinés
devant la télévision. «Je sais que
le Cameroun va gagner», tonne un ancien haut fonctionnaire
malien. Un autre condamné à six mois de prison
pour quelques larcins pensent plutôt que c'est la Côte-d'Ivoire.
Dans cet univers carcéral,
les paris ont court. Combien y a t-il dans la cagnotte ? Personne
ne répond. Ici c'est la loi de l'omerta. Ou du moins,
quand on ne veut pas être franc, on bluffe.
Ce pendant, des sources fiables indiquent qu'une «bonne
centaine» de pensionnaires ont misé. Le camp
des vainqueurs, selon une «loi interne», partagera
le butin. L'autre camp se rongera les pouces.
Ici, les conditions de vie ne sont pas si dures. «La
CAN ? Nous supportons les Aigles du Mali. Mais c'est aussi
pour nous un avant-goût de liberté»,
confie James, un Libérien embastillé pour un
délit qu'il conteste.
Dans un bloc séparé
de la prison, les cellules des femmes. Elles visionnent aussi
les matchs. Deux d'entre elles fument un mégot. Quelques
cris en écho à des actions sur le terrain. Puis
plus rien. Une nette impression se dégage, la plupart
de ces femmes ne sont pas des mordues du cuir rond. Tant pis,
elles profiteront de cette occasion pour «respirer
d'avantage» l'air frais.
Air frais aussi pour des prisonniers
venus d'ailleurs. Il s'agit d'une poignée de Rwandais
condamnés pour génocide par le tribunal d'Arusha.
Ils purgent leurs peines à Bamako selon les termes
d'un accord international. Parmi eux, un ancien premier-ministre
de Kigali. Ce petit monde chouchouté ne rate aucun
match. L'un d'entre eux, lunettes d'intellectuels sur le nez,
parle volontiers. «Les matchs sont beaux. Le football
africain a fait d'énormes progrès».
Parole de génocidaire.
En tout cas, l'archevêché
de Bamako a apprécié l'acte. L'aumônier
de la prison civile de Bamako est ému par le geste
des responsables de la prison. «Dieu se trouve d'abord
en prison», lâche t-il sans convaincre son
interlocuteur, athée indécrottable. Il n'empêche,
l'aumônier croit en la future «métamorphose»
des détenus qui seront à leur sortie des «modèles»
de la société. Dont acte.
En attendant, les 1366 prisonniers de la maison d'arrêt
de Bamako continuent à voir les matchs. En direct.
Jusqu'au 10 février prochain. Après, le train-train
quotidien de la réclusion reprendra son rythme monotone.
Serge Daniel
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