Foot-folie
au pays de la téranga
2 février
2002
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Le président Wade
découvre la mascotte des Lions du Sénégal
© AFP |
Les sénégalais
ont toujours été des fous de foot. Mais jamais
le virus de ce sport roi ne les avait autant pénétrés.
Roi, ce sport, comme l'autre roi de la forêt qui est
l'emblème de l'équipe nationale, s'est imposé
à tous, même les plus blasés devant l'Eternel.
De notre correspondant à
Dakar
C'est d'abord le «Pape»
de l'alternance soi-même, le président Wade,
qui succombe à la magie des crampons des Lions du Sénégal
et qui se découvre soudain, footballeur, entraîneur,
bailleur de fonds, et le premier des supporters du pays. Quand
les Lions se qualifient, en juillet dernier, pour le prochain
mondial en Corée, le chef de l'Etat écourte
son voyage sur les rives de la Seine, puis bloque pendant
des heures l'avion des «Gaïndés» (Lions
en wolof) à Nouakchott, pour faire le reste du trajet
avec eux jusqu'à Dakar.
A l'aéroport Léopold
Sédar Senghor, la foule monstre qui transpire depuis
des heures sous le chaud soleil tropical, fait une haie d'honneur
de trois kilomètres jusqu'à leur hôtel.
Ce jour-là, le coup d'envoi de la footmania est donné.
Depuis, une douce folie, sorte d'extase quasi sexuelle, s'est
emparée de tout un peuple.
Les Sénégalais
rêvent éveillés que les Lions ramèneront
des rives du fleuve Djioliba, la-bas à Bamako, la coupe
de cette 23éme CAN. Ce rêve, peut-être
pas si fou que ça, a été alimenté
par le président sénégalais lui-même
qui, en remettant, il y a deux semaines, le drapeau national
aux Lions, s'est laissé allé à un pronostic
des plus hasardeux, en déclarant: «La CAN
pour vous, c'est une simple promenade de santé. Moi
je pense à la coupe du monde».
Rien n'est trop beau pour
les Lions
C'est vrai que le Mali n'est
pas la Corée du Nord, c'est à dire le bout du
monde. Il n'empêche que les moyens mis en oeuvre pour
les Lions et, surtout, l'attitude de leurs supporters, relèvent
de l'indécence pour un pays où la survie est
la règle. Un train spécial Dakar-Bamako pour
ces derniers, à la veille de chaque match des Lions,
et à prix réduit s'il vous plait. L'assemblée
nationale qui y va de ses...caisses à hauteur de 500
000 CFA. Le président Wade qui tire de sa poche 10
millions CFA, toujours pour les supporters qui, paraît-il,
«galèrent» au pays d'Alpha Oumar Konaré.
Sans compter tous les autres bailleurs habituels prompts,
à chaque fois que l'Etat donne le coup d'envoi, à
signer des chèques. La presse quotidienne et la télé
sont d'ailleurs remplies de cérémonies de remise
de chèques aux Lions et aux supporters.
Alors, dans ce contexte, quand
l'ex-footballeur de l'équipe de France Michel Platini,
fait une sortie à la limite du mépris à
l'égard des Lions, la presse et l'opinion publique
crient au racisme. Il est vrai que, tout réalisme mis
à part, déclarer avec suffisance que le «Sénégal
va à Séoul pour le tourisme et la France pour
rester», ou que «le Sénégal
et la France ne boxent pas dans la même catégorie»
parce que les deux équipent ouvrent le mondial, était
loin d'être «fair play». Surtout que les
22 joueurs sénégalais présents à
Bamako jouent tous dans le championnat français en
première ou deuxième division.
La «footmania» a
aussi gagné les politiciens. Et pas seulement le premier
d'entre eux. Le Parti socialiste, qui ne s'est toujours pas
relevé de son coma post-présidentiel de mars
2000, s'est ainsi fendu d'une déclaration indignée
lors de la réunion hebdomadaire de son bureau politique,
le 30 janvier, en appelant le Haut conseil de l'audiovisuel
à la vigilance. Pour les camarades d'Ousmane Tanor
Dieng, premier secrétaire du PS, «il y a des
cas insidieux de propagande qui passent inaperçus:
c'est la récupération politique de la Can 2002
à la télévision par les autorités,
sous le prétexte du Sénégal qui gagne
(un slogan de Me Wade, ndlr)». Les socialistes,
qui veulent marquer à la culotte le président
Wade, s'offusquent qu'on veuille «faire croire à
l'opinion que le Sénégal n' a commencé
à gagner que depuis l'alternance survenue le 19 mars
2000, ce qui est loin d'être exact».
Même la Loterie nationale
sénégalaise y est allée d'un nouveau
jeu, appelé, comme il se doit,"Pénalty",
avec des encarts publicitaires dans les journaux. Le truc?
«Grattez, si la balle est dans la cage du gardien,
vous gagnez la somme qui est inscrite». Si la balle
n'est pas dans la cage, comme cela arrive souvent aux attaquants,
on y perd 200 francs CFA (0,3 euro).
Si les Lions, comme le rêvent
tous les Sénégalais, reviennent à Dakar
avec la «Dame coupe», les Sénégalais
seront décidément tous bons pour l'asile...des
stades. Et le parti du président Wade, le PDS, gagnera
haut la main les municipales d'avril prochain. Quant à
l'opposition, elle y verra la main -frauduleuse- du foot.
Demba Ndiaye
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