Au
Mali, la fête jusqu'au
matin
4 février
2002
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Un match se termine, un
autre commence dans les rues de Bamako ©
Patrice Tharreau
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De notre correspondant à
Bamako
Le coup de sifflet final retentit.
Un match se termine, un autre commence dans les rues de Bamako.
Des dizaines de milliers de personnes. Femmes, jeunes, vieux,
et jeunes. Bref, tout un peuple uni face à l'événement.
«Le Mali, c'est aussi ça», lâche
un manifestant sur l'avenue de l'OUA. Notre interlocuteur
ne sait pas forcement ce qu'il dit. Mais peu importe. L'heure
est à l'émotion.
Les yeux embués, de larmes
un gamin, crâne rasé, pleurniche. Il ne sait
pas pourquoi. Un autre essaye de le consoler. Contagion ,
les deux se mettent à pleurer. La scène est
émouvante. De l'autre
côté de l'avenue de l'OUA, un petit bled, repère
des garçons et filles un peu paumés du quartier
Faladié. Pour une fois, on rigole ici. Enveloppé
dans un drapeau national, Drissa, le leader du groupe, entonne
Jah Jah, hymne à la gloire de Bob Marley. Une odeur
de chanvre indien. Pas grave, aujourd'hui c'est la fête.
Fête aussi dans les autres
quartiers de Bamako tels Badalabougou , Wolofobougou, Médine,
ou encore Korofina. De véritables grappes humaines
prennent là aussi d'assaut les rues de la capitale.
Tambours et tam tam, coup de sifflets, youyous d'usage. Bref,
ambiance indescriptible. A Badalabougou, deux mômes
s'évanouissent. Rien de grave, un coup de chaleur.
Ils se relèvent après avoir avalé quelques
gorgées d'eau. La fête continue. De plus belle.
A Kayes, lieu où s'est
déroulé le match, des milliers de spectateurs
envahissent le stade. C'est le sauve qui peut. Les joueurs
prennent leurs jambes au cou. Un cent mètres plat vers
les vestiaires. Quelques officiels de la CAF, médusés,
sont là. Plus de peur que de mal. La fête continue.
La fête continue, cette
fois dans des maquis
Retour à Bamako. Le service de sécurité
se fait des soucis. «Et si ça dérapait?»,
ose un officier malien, vieux routier du service de maintien
d'ordre. Une astuce est trouvée pour faire d'une pierre
deux coups. Communiqués sur communiqués, on
annonce que l'entrée du match Nigeria - Ghana du dimanche
soir à Bamako est gratuit. Et hop, le tour est joué.
«Ca a été une idée géniale.
La plupart des manifestants se sont dirigés vers le
stade du 26 Mars, et cela a permis de les contenir, de maîtriser
leur parcours et de les avoir dans une prison dorée
pendant 90 minutes», commente un flic malien, content
de l'effet de sa phrase sur son interlocuteur.
Il n'empêche, une heure et demi après, la fête
a repris. Une nouvelle circule : «Les Aigles arrivent
de Kayes». Un groupe se dirige vers l'aéroport.
Fausse alerte. Tout le monde rebrousse chemin. Ce n'est pas
si grave, l'important c'est que la fête continue.
On a fait la fête aussi au palais présidentiel.
Revenu d'un nième voyage à Tripoli, le Président
malien Alpha Oumar Konare a eu tout juste le temps de se déchausser.
Il au suivi le match à la télévision.
Selon ses proches, il beaucoup bu du thé pour tromper
le stress. A la fin, il a confié à RFI : «Je
suis très heureux , mais les Sud-Africains, il faut
le dire, n'ont pas démérité».
Langage fair play. Son épouse, de son côté,
a confié à un confrère : «J'avais
le trac. Je pense que les jeunes ont bien travaillé».
Il est 21 heures TU. La nuit enveloppe la ville de Bamako.
La fête continue, cette fois dans des maquis. Cravatés,
ou drapés dans des boubous brodés de circonstance,
les Maliens jouent «les prolongations» du match.
Une troisième mi-temps, comme au rugby. L'alcool (on
n'est pourtant dans un pays musulman à plus de 90%)
coule à flots. On lève le coude. Aucune discussion
rationnelle. Deux potes draguent la même fille. Montée
d'adrénaline. Quelques paroles musclées échangées.
Des postillons partent de part et d'autre sur les visages
. Le dogo (petit frère en langue bambara) présente
ses excuses au Koro (grand frère) et l'incident est
clos. La belle de nuit , cause de la dispute, a trouvé
entre temps un autre prince. Tant mieux pour tout le monde.
Deux heures du matin. Les forces
commencent à lâcher les noctambules. Il n'empêche,
certains continuent à festoyer. Plusieurs sont groggy.
Offrant tournée d 'alcool sur tournée d'alcool,
le propriétaire d'un bar ne se rend même pas
compte qu'il est entrain de mettre la clé sous le paillasson.
Lundi Matin. Réveil difficile pour certains. C'était
prévisible.
D'autres, tels les journaux maliens,
prennent le relais de la célébration de l'événement
.
«Pisansi» (puissance), titre L'Essor,
le quotidien gouvernemental. «Bravo» les
Aigles, commente le bi-hebdomadaire L'Indépendant.
Dans la même veine, L 'Aurore, Le Soir
de Bamako saluent l'événement. L'Observateur
ose un titre guerrier : «Les Aigles crucifient
les mondialistes sud-africains». A qui le tour?
s'interroge, ironique, le quotidien Info Matin . Le
Cameroun ou l'Egypte bien sûr. Mais ce sont là
des grosses cylindrées, même si à cur
vaillant rien n'est impossible.
Serge Daniel
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