Livre de Sciences naturelles

Les poissons font-ils l'amour ?

par Dominique Raizon

Article publié le 11/05/2009 Dernière mise à jour le 18/10/2009 à 17:27 TU

© Editions Belin, 2009.

 Les poissons boivent-ils ? Font-ils pipi ? Parlent-ils entre eux ? Ont-ils de la mémoire et de l'intelligence ? Peuvent-ils se noyer ? Comment s'orientent-ils ? Par quoi sont-ils menacés ? ... Décidément, la collection Pour la science (éditions Belin) sait intéresser le grand public curieux des « choses de la nature » ! Jacques Bruslé et Jean-Pierre Quignard, deux naturalistes docteur ès-sciences, font le point sur les connaissances les plus actuelles concernant nos « lointains cousins » en répondant à 72 questions sur le mode d’un abécédaire -de A comme Amour à Z comme Zizi, en passant par C comme Cerveau ou Chromosome, M comme Migration ou Mondialisation, O comme Odeur, OGM et Orientation, R comme Recensement, S comme Sexe, U comme Ultraviolet etc. Un ouvrage tout aussi valide sur le plan scientifique qu’il est amusant et pédagogique !

Un poisson-dragon abyssal ou "poisson-lanterne" bioluminiscent : des radiations bleues (ou rouges) sont produites par des bactéries localicées dans des photosphores et émises sous formes de flashes.
(Illustration : Jacques Bruslé © Editions Belin, 2009)

Exit les idées reçues. Ne vous fiez surtout pas au regard vide des poissons ! Jean-Pierre Quignard, professeur honoraire à la faculté des sciences de Montpellier, qui enseigne l’ichthyologie, c’est-à-dire la science des poissons, est formel ... :

- « Oui, les poissons sont aptes à apprendre et à raisonner. Ils n'apportent pas systématiquement des réponses stéréotypées face à des événements extérieurs mais au contraire, ils peuvent hiérarchiser les informations qu’ils collectent.» 

- « Oui, les poissons communiquent entre individus d’une même espèce et parfois ils communiquent avec des espèces différentes ».

- « Enfin, oui, les poissons ont de la mémoire et savent s’adapter au mieux, en différentes situations, et tirer le meilleur profit pour leur survie.

Donc, assure le scientifique, « on ne peut pas dire que les poissons sont complètement stupides ! »…

Mais, qui désignons-nous au juste quand on parle de ‘poissons’ ? Les auteurs Jacques Bruslé et Jean-Pierre Quignard, expliquent dans leur ouvrage que les poissons représentent quelque 21 000 espèces appartenant à 35 ordres et 406 familles, qui ne forment pas un seul groupe.

Les Actinoptérygiens, du groupe dominant chez les vertébrés, sont des poissons à nageoires rayonnée comptant 27 000 espèces.
© Licence de documentation libre GNU.

 
« Il faut distinguer les poissons cartilagineux -ou "chondrichtyens": raies et requins- de ceux qui sont osseux-, eux-mêmes subdivisés en "actinoptérygiens", comme la sardine et le thon par exemple, et les "sarcoptérigiens", un ensemble qui comprend, ce qui étonne bon nombre de personnes, le coelacanthe, les crocodiles, les grenouilles, les baleines ... et l'homme! ».

Les espèces sont dérivées de plusieurs ancêtres appartenant à différents groupes de l’arbre du vivant et c’est, à tort, que le coelacanthe, grand poisson bleu qui a survécu à plusieurs périodes d’extinction des espèces, est appelé « fossile vivant » ! 

Un banc de barracudas regroupant des poissons de même taille et de même livrée.
(Illustration : Jacques Bruslé © Editions Belin, 2009)

Les poissons vivent-ils en famille, chantent-ils, pleurent-ils, sont-ils parfois homosexuels, se noient-ils, vivent-ils vieux ?... la liste pourrait être longue de questions qui ne viennent même pas à l’esprit tant ce monde « extra-terrestre » peut nous paraître lointain et étranger ... où l’on apprend, par exemple, que chez les poissons, il n’est pas nécessairement besoin de copuler pour faire l’amour, et qu’il existerait même une forme d’érotisme et des effusions amoureuses ritualisées …

Bref, les auteurs nous initient à la « la complexité et l’originalité de la vie de ces vertébrés souvent qualifiés, à tort, d’inférieurs », qui partagent même avec l’homme quelques ressemblances.

Les progrès concernant la connaissance de la neurobiologie des poissons permet d’avancer que les poissons sont dotés d’un système nerveux central commun à tous les vertébrés et impliqués de la même façon dans leur fonctionnement cérébral.

Poisson Demoiselle-Azur.
(Domaine public)

D comme douleur ! ... Les poissons qui mordent à l'hameçon ou ceux qui sont harponnés souffrent-ils ? « Il est difficile, souligne le chercheur, d’apprécier exactement le système d’intégration de cette douleur. On sait par exemple que les poissons ressentent une douleur quand ils sont manipulés mais on ne peut pas évaluer la signification psychosomatique qu’elle représente ni comparer celle-ci à la douleur ressentie par un mammifère et plus particulièrement par l'homme : la structure du cerveau des poissons n’est pas assez connue et l’approche expérimentale est difficile. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour interpréter la douleur chez les poissons ! »

Et, S comme Stress ! … Les poissons stressent-ils ? Oui, confirme le chercheur : « Les éleveurs connaissent d'ailleurs parfaitement ce phénomène, car il a des répercussions sur la croissance et la reproduction.»

Un maître de l'illusion, le dragon feuillu des mers, qui ressemble à des algues dérivantes.
(Illustration : Jacques Bruslé © Editions Belin, 2009)

La mer renferme encore bien des secrets. L’homme est loin d’avoir recensé tous les poissons et, en 2007, une expédition scientifique américano-philippine a découvert, à quelque 5 kilomètres de profondeur, dans la mer de Célèbes (Philippines), des espèces jusque-là non identifiées : un petit poisson orange dotée d’une bouche à l'expression boudeuse et qui fait penser à Nemo, ainsi que  bien d’autres espèces marines tels, par exemple, un concombre de mer qui peut nager et un ver, avec des tentacules sortant de sa tête.…

Si toutes les espèces ne sont pas encore répertoriées, d’autres, qui le sont bel et bien, sont actuellement menacées de disparition. Ainsi les poissons d’eau douce, cernés par une urbanisation et industrialisation effrénées subissent tout particulièrement la pollution. Les niches écologiques où les poissons ont l’habitude de se nourrir et se reproduire sont détruites et les poissons sont désorientés.

Grand brochet.
© Licence de documentation libre GNU

 

En mer, les agressions sont les mêmes : pollution, destruction de certains habitats, pêches mal gérées qui affaiblissent les stocks et mettent même en danger certaines espèces … « On estime entre 40% à 50% des espèces menacées en eau douce et environ 800 en mer ! », s’alarme Jean-Pierre Quignard.

Le chercheur pointe un autre danger : l’arrivée d’espèces voyageuses ou « aliens », qui colonisent les nouveaux territoires au détriment des espèces locales et qui déstabilisent les écosystèmes.

***A ne pas manquer : Les Journées de la Mer, du 8 au 14 juin 2009

Pour en savoir plus :

* Lire des mêmes auteurs

- Les poissons et leur environnement, éd.Lavoisier,2004

- Alliances animales, éd. Belin, 2006

- Pas si bêtes, les poissons, éd.Belin 2007

* Consulter les sites

- de l'université de Perpignan

- du Muséum national d'Histoire naturelle, à Paris

- du Musée des Confluences de Lyon

Et, pour plonger dans un océan de couleurs, visiter le site de l'Internaute