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Haïti

Aristide se rapproche de Port-au-Prince

Le président déchu a quitté la Centrafrique au cours de la nuit de dimanche à lundi à destination de la Jamaïque, officiellement à titre temporaire et pour faciliter la visite de ses enfants. Cette destination, toute proche d’Haïti (500 km), provoque les réactions d’hostilité de Washington et de Port-au-Prince qui annonce le gel de ses relations diplomatiques avec Kingston. Reste que l’exil africain de Jean-Bertrand Aristide ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices en raison notamment du combat qu’il entend désormais mener pour démontrer que sa démission a été obtenue sous la contrainte et qu’il a bien été victime, selon ses propres termes, d’un «enlèvement» orchestré par Washington avec la complicité de Paris.
Dans le climat d’insécurité et d’instabilité qui continue de caractériser la situation haïtienne, quinze jours après la destitution de son président et son départ en exil, son retour attendu dans la région Caraïbe n’est pas un événement anodin. Il s’inscrit en effet dans un contexte régional et international qui demeure très marqué par la division et de substantielles différences d’appréciation sur la légitimité du processus qui a conduit à la déposition du président élu, sa démission sous la contrainte des insurgés et son départ en exil sous la menace d’un bain de sang. D’autre part, après quinze jours passés en terre africaine, la question de l’exil de Jean-Bertrand Aristide s’est davantage compliquée qu’elle ne s’est éclaircie. Bangui ne devait être qu’une étape vers l’Afrique du Sud qui semble se dérober. Et l’appel à la solidarité lancée par l’Union africaine n’a jusqu’à présent trouvé aucun écho.

Dès son départ de Port-au-Prince, nombre d’observateurs, parmi lesquels de hautes personnalités régionales impliquées dans la recherche d’une solution à la crise lors des semaines qui ont précédé son dénouement avaient manifesté un vif étonnement sur la décision finalement adoptée par le chef de l’Etat haïtien. Les membres de la communauté régionale Caraïbe (Caricom), très engagés dans les discussions en cours, aux côtés du Canada, de la France et des Etats-Unis, ont adopté d’emblée une position très critique sur la solution finalement adoptée. La Caricom, par la voix de sa présidence jamaïcaine, a émis de sérieux doute sur le caractère constitutionnel de la décision et a prêté une oreille bienveillante aux accusations portées contre Washington, soupçonné d’avoir forcé la main du président Aristide, en réclamant une enquête internationale sur cette affaire. Parmi les reproches adressés, la Caricom estime notamment que la déposition dans ces circonstances d’un président élu met en péril tout processus démocratique en légitimant la déstabilisation par une rébellion armée d’un régime issu des urnes. La Caricom préconisait au contraire d’aider Haïti en favorisant une solution de compromis associant le régime, l’opposition légale et la communauté internationale.

Dans ces conditions, la destination du président Aristide, au départ de Bangui, n’est pas un élément insignifiant. Les autorités de Kingston, présidentes en exercice de la communauté régionale, ont été les porte-parole des doutes émis par la communauté internationale sur la conduite et la légalité des opérations menées, dont Paris et Washington ont assuré l’essentiel du leadership. On comprend mieux que ce retour d’Aristide dans la région, a fortiori en Jamaïque, et à moins de cinq cents kilomètres des côtes haïtiennes, soit interprété à Port-au-Prince comme un «acte inamical» (Gérard Latortue, Premier ministre), ou à Washington comme «une très mauvaise idée» (Condoleeza Rice, conseillère du président Bush). Lundi soir, Port-au-Prince annonçait le gel de ses relations diplomatiques avec Kingston.

Bangui soulagé, l’UA reste saisie

Pour atténuer l’effet provocateur de leur décision, les autorités jamaïcaines ont annoncé que l’accueil de Jean-Bertrand Aristide avait un objectif humanitaire et qu’il était invité à titre temporaire. A son arrivée à Bangui, dimanche, l’émissaire du Premier ministre jamaïcain, accompagné d’une délégation représentative de la communauté noire américaine, avait indiqué à la presse que la démarche de Kingston visait «à favoriser la rencontre du président Aristide avec ses deux filles», réfugiées aux Etats-Unis. Mais l’émissaire précisait que «la Jamaïque, qui préside en ce moment la Caricom veut sortir le président Aristide de cette situation», signe que l’exil africain d’Aristide n’était pas acquis et que Kingston s’offre comme une escale dans l’attente d’une solution. Quelques heures plus tard, le jet repartait avec le couple présidentiel à son bord.

De son côté la Centrafrique règle un sérieux problème diplomatique. Dans un premier temps, à la demande de la France, et par l’entremise du président gabonais Omar Bongo, la République centrafricaine avait accepté de prêter main forte à Paris et Washington en contribuant au règlement de la phase la plus sensible de la crise haïtienne en fournissant un asile provisoire au président déchu. Mais, à l’arrivée de Jean-Bertrand Aristide dans la capitale centrafricaine, l’affaire s’était singulièrement compliquée. Bangui était en effet devenu la base à partir de laquelle le président déchu ruminait sa déception et, à coups de communiqués vengeurs, préparait sa contre-attaque judiciaire. Ses déclarations sur les circonstances de sa destitution, qualifiée d’enlèvement, avaient provoqué l’embarras des autorités locales au point qu’elles l’avaient, à plusieurs reprises, appelé à «respecter l’obligation de réserve à laquelle il est tenu» et «les règles de l’hospitalité».

Cette activisme et ces déclarations semblent même avoir découragé l’Afrique du Sud, pressentie dans un premier temps comme l’ultime destination pour un exil durable, d’accueillir Jean-Bertrand Aristide. Bien que ne reniant ni son soutien à Aristide, ni ses déclarations réclamant des éclaircissements sur sa démission contestée, dés le 10 mars, à l’issue d’une entretien à Bangui avec une délégation sud-africaine, il n’était plus sûr du tout que Pretoria consente à donner asile à l’ex président haïtien. Mais peut être le scénario caribéen était-il déjà en préparation ?

Malgré cette apparente prise de distance, ce soulagement peut être de voir s’éloigner cet épineuse question, l’Afrique ne se détourne ni du problème Haïtien ni du sort d’Aristide. L’Union africaine reste saisie du dossier et réclame une enquête internationale sur les circonstances de la démission d’Aristide. L’organisation panafricaine estime, comme la Caricom, que le processus qui a abouti au renversement du régime est non seulement anticonstitutionnel, mais qu’il est dangereux en raison des risques qu’il fait peser sur les gouvernements élus.



par Georges  Abou

Article publié le 15/03/2004

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