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Défense

Les ADM, nouvelle frontière du mal

La lutte contre les armes de destruction massive (ADM) apparaît comme l’un des nouveaux axes de la doctrine militaro-diplomatique atlantiste. Selon ses concepteurs, elle justifie un interventionnisme qui s’incarne tant dans la guerre contre l’Irak que dans les négociations, secrètes ou publiques, qui ont notamment donné lieu au renoncement libyen à se doter d’arsenaux non-conventionnels. C’est toutefois une doctrine à géométrie variable : tous les candidats à l’acquisition d’ADM, ni les détenteurs, ne reçoivent le même traitement et cette situation est évidemment de nature à pervertir le principe même de la non-prolifération. Il est d’ailleurs certainement trop tard pour agir en raison de l’ancienneté de la dissémination des ADM.
Le renoncement de la Libye aux armes de destruction massive (ADM) et l’agitation internationale autour de ce dossier ont relancé la question de la menace de prolifération des arsenaux non-conventionnels. Il règne en effet ces derniers temps une intense activité militaire, diplomatique et de renseignement autour de la recherche et de la destruction de ces armements. Aujourd’hui les ADM sont devenues la principale justification à la guerre préventive.

L’exemple irakien, mais également les menaces sur les pays soupçonnés d’en détenir, sont au centre des préoccupations des grandes puissances et de leurs interlocuteurs, même si les pressions et menaces exercées le sont à titre sélectif, certains Etats échappant totalement aux condamnations, alors que d’autres au contraire subissent l’invasion. Les décisions visant à la restructuration des armées et à l’affectation de leur budget sont également directement affectées par ces orientations devenues stratégiques.

Ce qui a changé, et qui appelle à la vigilance, c’est que les rapports de force anciens sont parvenus au bout de leur logique d’équilibre raisonnable de la terreur avec la fin de la guerre froide. Cette évidence impose une redéfinition de la menace et l’adaptation des forces armées à la nouvelle donne : renseignement, capacités de projection, dispositifs anti-missiles, systèmes d’armes polyvalents, contraction des effectifs donnant la priorité aux «spécialistes». C’est dans cette perspective que doivent être comprises les différentes annonces, dont la britannique la semaine dernière, de refonte des forces armées.

Seize pays, nord-américains et européens pour la plupart, ont donc décidé d’unir leurs efforts au sein d’une «initiative de sécurité contre la prolifération» pour travailler ensemble à la neutralisation de cette menace. Ils organisent des rencontres et des exercices, échangent des informations et tentent de convaincre de nouveaux partenaires de les rejoindre. La semaine dernière, Washington a fait circuler une proposition de résolution à l’ONU, complétant le discours devant l’Assemblée générale de George Bush, en septembre, demandant aux gouvernements de s’impliquer davantage dans la lutte contre les ADM. L’organisation militaires nord-atlantique Otan n’est pas en reste : elle annonçait fin novembre la création d’un nouveau Bataillon multinational de défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire chargé de défendre les Etats membres contre les ADM. La liste des outils utilisés pour assurer la protection des populations laisse dubitatif puisqu’il est question de kits de prélèvement et de douches de décontamination.

La lutte antiterroriste et anti-prolifération appartiennent au même registre

Selon la spécialiste Dominique Lorenz, en ce début de millénaire, une quarantaine de pays (sur les 191 pays-membres de l’ONU) disposaient d’une technologie nucléaire qui les plaçait au seuil de l’entrée au sein des puissances atomiques capables de produire rapidement une bombe. La prise de conscience semble bien lente et, sans douter de la bonne foi des «grands» inquiets, leur appréhension rétrospective souligne surtout leur absence d’anticipation voire leur coupable complicité dans l’indéniable prolifération à laquelle nous avons assisté au cours du demi-siècle passé. Longtemps cette dissémination a pris des habillages de transferts de technologie nucléaire civile.

L’argument ne tient plus : il est désormais acquis que certaines technologies sont «duales», c’est à dire que la maîtrise de l’un (le civil) nourrit l’autre (le militaire) et la détention d’un réacteur expérimental civil peut donc ouvrir des horizons militaires. Ce fut le cas pour Israël, qui ne l’a toujours pas reconnu et dont la position contribue à justifier la recherche d’équilibre de ses voisins. L’Afrique du Sud, elle, a renoncé en mettant fin à l’apartheid. L’Inde et le Pakistan sont tous deux parvenus à l’équilibre de la terreur sans que cela signifie forcément qu’ils se neutralisent mutuellement. Reste enfin tous les pays dits «du seuil» auxquels, par la menace, la coercition ou la persuasion la communauté internationale tente d’infléchir la conduite. Après l’Iran et la Libye, la Corée du Nord demeure le dernier récalcitrant de la liste… jusqu’au prochain.

Reste enfin qu’avec le risque de développement de conflits empruntant davantage au terrorisme de masse et à la guérilla urbaine qu’aux règles de l’art traditionnelles en la matière, cette nouvelle phobie des ADM, quoique tardive, prend toute sa légitimité. Les conflits d’Etat à Etat deviennent marginaux tandis que les guerres civiles dominent, et alors que les technologies de la terreur circulent et traversent les frontières à la vitesse d’Internet. Les capacités de nuisance ne s’apprécient plus en termes quantitatifs, mais qualitatifs. Et elles ne recouvrent plus seulement la notion de «force de frappe», mais d’aptitude à déstabiliser l’adversaire dans ce qu’il a de plus vitale : sa cohésion. Dans ce contexte, le pire ennemi est déjà à l’intérieur, comme on l’a vu le 11 septembre 2001, à New York. Et la lutte antiterroriste et anti-prolifération appartiennent désormais au même registre.



par Georges  Abou

Article publié le 23/12/2003

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