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Cameroun

Quelque 250 Camerounais expulsés de Guinée équatoriale

Les autorités de Malabo ont entrepris une chasse aux étrangers quelques jours après avoir annoncé qu’elles avaient éventé une tentative de déstabilisation du régime du président Obiang Nguéma. L’ambassade de Guinée Equatoriale à Yaoundé n’était pas vendredi, en mesure de réagir aux nombreuses accusations que les «expulsés» ont formulées à l’encontre des forces de l’ordre équato-guinéennes. Parallèlement, le gouvernement camerounais, mis en cause dans des médias étrangers, a formellement démenti l’existence au Cameroun, d’un camp d’entraînement de mercenaires en vue de la déstabilisation du pouvoir voisin.
De notre correspondant à Yaoundé.

Cent, selon certaines estimations, deux cents cinquante, à en croire les chiffres officiels et des sources concordantes. Une certitude en revanche : par dizaines, des citoyens camerounais ont regagné leur pays, contre leur gré. Depuis mercredi 10 mars, la première vague de ces «expulsés» est arrivée dans la ville de Limbé, dans la province anglophone du Sud-Ouest, sur laquelle viennent s’échouer les eaux de l’océan atlantique. Ils sont arrivés, en provenance de Malabo, la capitale équato-guinéenne, sur des embarcations de fortune –des pirogues– au terme de voyages nocturnes souvent éprouvants. Quatre heures de trajet en moyenne. Un supplice supplémentaire après avoir connu la faim cinq jours durant.

Les témoignages font état d’un séjour dans les commissariats et autres lieux de détention à Malabo où il n’était pas possible de se nourrir. Souvenirs aussi, selon les «expulsés», de ces centres où certains ont subi des tortures : bastonnades sur la plante des pieds exhibée par quelques infortunés à des reporters locaux accourus sur le lieu de rassemblement à Limbé. Sans compter que ces Camerounais sont arrivés sans bagages, leurs biens passés par pertes et profits. Dans certains cas, cela représente deux ou trois années de labeur, d’accumulation et d’économies, aujourd’hui partis en fumée. Un cauchemar pour ces centaines de personnes, parties «se débrouiller», «se chercher», «se battre» au pays du président Obiang Nguéma. Baptisé nouvel «eldorado» d’Afrique centrale, la Guinée équatoriale représente, à leurs yeux, le décollage économique envié par beaucoup dans la région. Elle attire les étrangers en quête des retombées de la manne pétrolière.

Les autorités camerounaises n’ont pas tardé à réagir. Au plan local d’abord. Visite de réconfort des patrons de l’administration territoriale, le gouverneur de la province en tête. Des sandwiches, un abri et, grâce au Délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Limbé –sorte de super maire de la ville–, une somme de 5 000 F CFA octroyée à chaque «revenant» pour lui permettre de regagner sa localité d’attache. Et de fait, les 250 «expulsés» sont originaires de diverses régions du pays. Seul problème : ce geste, aussi généreux soit-il, s’avère souvent insuffisant pour ceux qui doivent parcourir de longues distances pour rentrer chez eux. Vendredi, quelques 70 à 80 «revenants» étaient toujours à Limbé. Quelques-uns parmi eux espèrent du gouvernement, une aide pour la réinsertion…

Des relations traditionnellement tendues

Rien pourtant ne laissait présager que des rêves seraient ainsi brisés ce mois de mars en terre de Guinée équatoriale. Témoignages concordants parmi les «revenants» : les autorités ont décidé de s’en prendre aux étrangers. Des éléments des forces de l’ordre ont fait irruption dans les domiciles, brutalisé les occupants, avant de les embarquer vers des lieux de détention et de leur signifier à tous qu’ils étaient en situation de «d’immigration clandestine», au grand étonnement de ceux qui jurent pourtant être en règle. Pourquoi ? L’unanimité n’est pas acquise. Certains évoquent une crise de xénophobie subite. D’autres parlent d’une volonté des plus hautes autorités de Guinée d’en découdre avec les étrangers.

A l’ambassade de Guinée équatoriale à Yaoundé, les officiels sollicités vendredi pour fournir des éclaircissements étaient sans voix. C’est tout juste si on apprenait que le Chargé d’Affaires avait été appelé en urgence au ministère camerounais des Relations extérieures. Un diplomate camerounais de haut rang, proche du dossier, a fait état d’une «rencontre pour un échange d’informations entre les diplomates des deux pays dans le but d’examiner les solutions qui s’offrent aux deux pays». Sans en dire davantage, si ce n’est qu’il «appartient aux deux chefs d’Etat de prendre des décisions idoines, probablement dans les meilleurs délais».

Il est vrai que ce n’est pas la première fois que des Camerounais sont considérés comme indésirables en Guinée équatoriale. Il est arrivé qu’un banal accident de la circulation mette le feu aux poudres. Il y a trois ans, un commerçant camerounais à moto, dans la localité frontalière de Kyo Si à la pointe méridionale du Cameroun, heurtait un Equato-guinéen. La levée de boucliers s’organisa immédiatement contre la communauté camerounaise et se solda par la mort du malheureux automobiliste. Cette localité frontalière est du reste le théâtre des tensions épisodiques entre les ressortissants des deux pays.

Hasard ? La nouvelle vague des expulsions des étrangers survient quelques jours seulement après que le président Obiang Nguéma a annoncé que les autorités ont éventé un complot visant à renverser le régime, pointant du doigt des étrangers qui auraient été impliqués dans cette tentative. De même cette poussée de xénophobie est-elle observée alors que des informations attribuées à des médias étrangers, faisaient état de l’existence au Cameroun, d’un camp d’entraînement de mercenaires sud-africains, en vue de déstabiliser la Guinée équatoriale. Ce genre de procès n’est apparemment pas nouveau. Vendredi à la mi-journée, la réaction du gouvernement camerounais tombait. Dans un communiqué du ministre de la Communication, le Pr Jacques Fame Ndongo, le gouvernement déclarait que ces «informations fantaisistes» étaient «dénuées de tout fondement». «Le Cameroun n’a jamais servi et ne servira jamais de base de déstabilisation d’aucun pays», ajoutait le texte avant de conclure que «le gouvernement se réservait le droit d’entreprendre des actions appropriées pour préserver son image et ses intérêts».

Entre Yaoundé et Malabo, le ciel n’a pas toujours été des plus calmes ces dernières années. Il y a trois ans, une délégation d’officiels camerounais de haut niveau avait été froissée suite à une fouille en règle des effets de ses membres à l’aéroport de Malabo alors qu’elle effectuait pourtant une visite officielle en Guinée. Par ailleurs, dans cadre de l’affaire du différend frontalier qui oppose depuis 1994 le Cameroun au Nigeria, Malabo a donné l’impression de s’être aligné du côté nigérian, au prétexte de demander à la Cour internationale de justice de la Haye, de «préserver les intérêts de la Guinée équatoriale» dans son verdict. On mesure mieux alors le fossé entre les formules diplomatiques des autorités et la réalité.



par Valentin  Zinga

Article publié le 13/03/2004

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