Immigration
Les idées reçues polluent le débat
L’image qui prévaut est celle d’une immigration massive, clandestine et échappant, de toutes manières, à tout instrument de mesure statistique officielle. François Héran estime pour sa part que «si la France a un sérieux problème d’intégration à résoudre, cela concerne d’abord les enfants issus des grandes vagues migratoires ouvrières des années 1950-74». Cette question n’est pas à confondre avec le flux actuel des immigrants.
L’immigration en France est aujourd’hui très en deçà de ce qu’elle était il y a trente ans et sans commune mesure avec le niveau actuel en Allemagne et en Europe du sud. Ainsi la France est devenue le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins de l’immigration, 20% environ alors que ce taux atteint 50% en Allemagne, pays qui a connu des migrations massives en provenance d’ex-Union soviétique et d’ex-Yougoslavie.
Image tenace, mais dépassée
Bien sûr, rétorquera-t-on, le taux de fécondité de la France est largement dû aux familles immigrées. De fait, un enfant né en France de parents immigrés est comptabilisé dans l’augmentation naturelle de la population et non au titre des migrations : il n’a passé aucune frontière. Mais selon les études récentes les femmes immigrées ne représentent qu’un douzième des femmes en âge d’avoir des enfants et affectent peu le taux de fécondité général du pays. Les femmes françaises natives ont 1,65 enfant en moyenne et ce taux passe à 1,72 avec le concours des femmes immigrées. L’image tenace d’une famille immigrée aux nombreux enfants tient au décalage temporel, estime l’Ined : les jeunes issus de l’immigration, nombreux dans les lieux publics, sont âgés de quinze ou vingt ans et sont donc le fruit d’un régime de fécondité largement dépassé depuis.
Autre idée reçue à laquelle François Héran s’attaque, l’immigration clandestine serait inconnue des statistiques. Les opérations de régularisation périodiques permettent au contraire, selon lui, de fixer un ordre de grandeur. La dernière régularisation de sans-papiers en 1997-98 permet de tabler sur une entrée annuelle de 13 000 migrants irréguliers. Ce chiffre n’est pas négligeable mais il n’est pas assimilable à une invasion et reste très inférieur aux demandes de régularisation enregistrées ces dernières années en Italie, en Espagne ou en Grèce. Quant à la concentration d’immigrés clandestins dans le bâtiment, la confection ou l’agriculture, elle reste, souligne l’Ined, bien moins importante que le travail au noir des nationaux dans ces secteurs.
En revanche, le plaidoyer de l’Ined sur la précision de ses études statistiques peine davantage à convaincre. Lors des recensements les familles ignorent bien souvent si leurs enfants nés en France sont Français de naissance ou le deviennent à 13, 16 ou 18 ans. Elles ont tendance à les déclarer français y compris par anticipation ce qui ferait naître des incohérences comptables. Les immigrés devenus français par naturalisation auraient aussi tendance à omettre cette précision. Enfin à l’affirmation «l’immigration, c’est accueillir la misère du monde» la recherche, encore lacunaire en ces domaines, montre que les migrants en provenance des pays pauvres du sud sont par rapport à la moyenne de la population à laquelle ils appartiennent, en meilleure santé, plus instruits et plus entreprenants.
A quoi tient donc la résistance des idées fausses en matière d’immigration ? A la concentration locale de population immigrée dans certaines communes qui trouble la vision. De plus il existe une confusion entre la situation actuelle et les conséquences d’une situation passée, comme cela a été démontré avec la baisse de fécondité des jeunes femmes immigrées.
par Francine Quentin
Article publié le 20/01/2004