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Zimbabwe

Robert Mugabe fait bande à part

Dimanche 7 décembre, le sommet du Commonwealth, réuni à Abuja (Nigéria), a décidé de ne pas fixer «de calendrier pour la réadmission du Zimbabwe», suspendu de l’organisation anglophone depuis mars 2002, après la réélection contestée de Robert Mugabe à la présidence. La porte du Commonwealth reste entrouverte, au cas où le pays connaîtrait des avancées démocratiques. Mais pour l’heure, c’est bel et bien une suspension à durée illimitée que trois dirigeants du Commonwealth, les présidents nigérian, Olusegun Obasanjo, et sud-africain, Thabo Mbeki, ainsi que le Premier ministre jamaïcain, Percival Patterson, ont été chargés d’annoncer au président Mugabe qui a claqué la porte le soir même, en apprenant la nouvelle.
Prolonger la suspension du Zimbabwe est «inacceptable, il quitte donc bel et bien» le Commonwealth, a répondu en peu de mots Robert Mugabe au trio chargé de lui communiquer par téléphone la décision dimanche. Et il n’a rien voulu entendre, pas même de Thabo Mbeki ou d’Olusegun Obasanjo, qui ont ferraillé des jours durant pour tenter d’infléchir leurs pairs anglophones, l’Australie et le Royaume-Uni en particulier. En vain. Mais le Premier ministre britannique a quand même jugé «très important de souligner que la vaste majorité des pays, blancs, noirs ou asiatiques, sont favorables à la poursuite de la suspension, car on peut constater que le Zimbabwe viole clairement tous les principes défendus par le Commonwealth». Une manière de couper court au sentiment assez largement partagé en Afrique selon lequel la question du Zimbabwe ressortit surtout d’un conflit d’intérêt qui concerne les Britanniques.

Pour sa part, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, estime que la réaction du président zimbabwéen est «une décision dommageable qui correspond entièrement au caractère du président Mugabe». Mais, ajoute-t-il «le président Mugabe ne sera pas toujours là et j’attends le moment où le Zimbabwe aura un gouvernement démocratique et pourra revenir au sein du Commonwealth». Ce jour là, l’opposition du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) espère bien en être. D’ores et déjà, le MDC salue une décision qui selon elle constitue «un signal très clair aux tyrans et dictateurs du monde». Très protocolairement, le porte-parole du Commonwealth se déclare pour sa part «déçu» par la décision de Mugabe et assure que «ce qui nous importe, c’est le bien-être du peuple du Zimbabwe et c’est ce sur quoi nous allons continuer à travailler». Mission impossible si l’on prend acte de la banqueroute économique désormais consommée au Zimbabwe. Mais le Commonwealth ne désespère de rien. Il a même constitué un comité de sept pays (Afrique du Sud, Australie, Canada, Inde, Jamaïque, Mozambique et Nigéria) «mandaté pour dialoguer» avec l’impétueux Mugabe et pour évaluer d’hypothétiques progrès démocratiques au Zimbabwe.

Visiblement, Robert Mugabe a décidé de ne pas couler sans emporter le Zimbabwe avec lui dans les abysses. A 79 ans passés (il est né le 21 février 1924), l’ancien chef de la guerre de libération (1972-1979) n’a plus vraiment d’avenir. Mais justement, il est sans doute trop tard pour qu’il puisse se résigner à céder le moindre pouce de pouvoir. Dans le passé, en 1983 notamment, il n’avait pas hésité à verser le sang de milliers de Ndebele du Matabeleland pour réduire les ambitions de son ennemi intime, Joshua Nkomo, père de l’indépendance, autant sinon plus que lui, et héros de la guérilla contre le régime de la blanche Rhodésie de Ian Smith. Après absorption de son rival par son parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), en 1987, Robert Mugabe avait refondu à son avantage la Constitution issue des accords de Lancaster conclu avec Londres pour porter le Zimbabwe sur les fond baptismaux de l’indépendance (le 18 avril 1980). Supprimant le fauteuil de Premier ministre qu’il occupait alors depuis 1980, Robert Mugabe s’était taillé un régime présidentiel à sa mesure. Mais dix ans plus tard, le Zimbabwe entrait en convulsions économiques.

Totalitarisme et pénurie

Tandis que, comme convenu à Lancaster House, l’Etat commençait à racheter mollement 8,3 millions d’hectares de terres, monopolisées par quelque 5 000 fermiers commerciaux blancs, pour réinstaller quelque 162 000 paysans noirs condamnés à l’agriculture de subsistance sur leurs minuscules parcelles, le président Mugabe faisait attribuer les plus beaux fiefs à ses affidés de la bourgeoisie noire naissante, richement dotée en expertise et capacité d’investissement. Réélu en 1996, il était rapidement rattrapé par la colère montante des ruraux en proie à une disette endémique et surtout celle des townships au chômage. En 1998, l’envoi de troupes au secours du Congolais Laurent-Désiré Kabila devait permettre quelques rentrées d’argent frais tirées des concessions minières rétribuant en nature ses services militaires. Si elle s’est avérée juteuse pour le président Mugabe et certains de ses officiers, l’aventure congolaise s’est terminée fin 2002 sur davantage de pertes que de profits concernant le Zimbabwe.

Sous la houlette de Morgan Tsvangarai, la centrale syndicale nationale a capitalisé sur la hausse des prix et du chômage pour donner le jour en 1999 au principal parti d’opposition, le MDC, son chef changeant juste de casquette au passage pour devenir le principal challenger de Mugabe. En bon guérillero, Robert Mugabe s’est alors employé à faire diversion en désignant les fermiers blancs comme l’ennemi principal et leurs terres comme le corps d’un délit qui lança en l’an 2000 des milliers de «vétérans» de la guerre d’indépendance à l’assaut de 1 600 exploitations agricoles décrétées bonnes à prendre par le chef de l’Etat. Depuis, la réforme agraire façon Mugabe a produit des morts, un déficit agricole, un litige grave avec Londres et maintes tentatives de conciliation internationale restées sans suite. Des milliers d’ouvriers agricoles ont perdu leur emploi, des paysans sans terre se disputent désormais des surfaces immenses mais n’ont pas davantage les moyens de les mettre en valeur. Expropriés, des fermiers blancs sont partis refaire leur vie ailleurs. L’idée démagogique d’un problème foncier de nature exclusivement coloniale menace de faire son chemin, en Afrique du Sud, par exemple.

Le MDC a fait ses choux gras diplomatique de l’instrumentalisation de la crise foncière par Mugabe. Ce dernier subit les foudres de l’Union européenne depuis que le 18 février 2002, une vingtaine de dirigeants de sa Zanu-PF ont été frappés d’interdiction de circuler en Europe et leurs avoirs bancaires gelés. En septembre 2002, la liste noire s’est allongée jusqu’à porter 78 noms. Entre temps, différentes «sources bien informées», en prise directe sur le Foreign Office, ont suggéré qu’un coup d’Etat se préparait contre Mugabe ou bien, autre scénario, qu’il allait négocier sa démission en faveur de Tsvangirai. Maintes fois arrêté, le chef du MDC reste accusé de complot contre la sécurité du chef de l’Etat. De son côté, Robert Mugabe poursuit sa surenchère. Le Zimbabwe a déjà la tête sous l’eau, avec 70% de chômeurs dans une population active foudroyée par le sida dont le taux de prévalence serait de 35%.

Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, le Zimbabwe était encore considéré comme le deuxième pays le plus industrialisé d’Afrique sub-saharienne, derrière l’Afrique du Sud. Aujourd’hui, son secteur manufacturier représente moins de 15% du PNB, contre 27 % dix ans plus tôt. Depuis l’an 2000, la croissance économique a régressé de 25 %, avec en 2002, par exemple, un taux négatif de - 12%. L’inflation tourne autour de 228%. Le pays broie du noir, à défaut d’électricité, importée à 35% d’Afrique du Sud et du Mozambique. Les bucholiques lodges restent vides. Le secteur touristique a régressé de 80% depuis 1999. Les affaires sont au point mort. Londres est le deuxième partenaire commercial de Harare, derrière Pretoria. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont eux aussi rompu les ponts. Le Zimbabwe va devoir survivre en autarcie, c’est-à-dire avec un Mugabe de plus en plus totalitaire et une pénurie de plus en plus généralisée.



par Monique  Mas

Article publié le 08/12/2003

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