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Maroc

Après le drame, le retour à la normale

Plus d’une semaine après le séisme, les habitants d’Al Hoceima tentent de renouer avec la vie. L’arrivée des secours et la venue du roi y contribue. Reportage de Laurent Correau.
De notre envoyé spécial à Al Hoceima

L’ombre de Mimoun Sadi danse derrière lui, sur la toile de tente, au fur et à mesure des gestes qu’il fait pour raconter son histoire. Sadi partage une tente avec un ami, Karim Idrissi dans le camp de Sabadia, situé en périphérie d’Al Hoceima. Plus les jours avancent, plus le choix est difficile : ou affronter le froid à grand renfort de pulls et de couvertures, ou rentrer chez lui, au risque que se produise une nouvelle réplique. «Quand il fait froid, dit Karim, vous n’arrivez pas à dormir. En plus, il y a des tentes où ils doivent vivre à 10, 15, 20. C’est pas normal…»

Plus d’une semaine après le séisme, la vie à l’extérieur commence à générer ses propres problèmes. Dans la tente médicale du camp, le docteur Fouad Zeriouel, l’un des trois médecins en poste ici ne mâche pas ses mots : «90% des consultations, ce sont des broncho-pneumopathies, des crises d’asthme, des angines, et des petits traumatismes, surtout des maladies infectieuses. Il fait froid, surtout la nuit, et il y a le vent. On a reçu des dons, ils contiennent surtout des médicaments. Les tentes sont insuffisantes, et il y a un petit peu de mal-gestion. A 600 mètres d’ici, il y a des gens qui restent la nuit dehors sans couvertures ni tentes.» Et ces sinistrés représentent les quatre-cinquièmes des consultations du docteur Zeriouel.

La main de l’État n’a par ailleurs pas encore atteint tous les douars touchés par le séisme. «Jusqu’ici, on n’a reçu aucune aide : ni tente, ni visite des autorités se plaint un habitant qui parle au noms de plusieurs douars de la commune rurale de Tamassint. Il y a beaucoup de morts. Ils n’ont pas pu être déclarés à l’État». Le bilan de 572 victimes maintenu depuis plusieurs jours par les autorités ne devrait donc pas être définitif. «Nos propres décomptes, réalisés à partir des informations collectées par nos enquêteurs nous conduisent d’ores et déjà au chiffre de 644 morts expliquait ce mardi 2 mars Omar Lemallam, du comité de coordination des organisations civiles pour le secours et le suivi des dégâts du tremblement de terre. Et pour l’instant nous n’avons pas de statistiques pour une quinzaine de Douars». Le chiffre officiel, selon lui, n’inclurait par ailleurs pas un certain nombre de victimes que leurs proches ont enterrées sans les déclarer aux autorités.

Intensification de la distribution

Les rotations des hélicoptères, pourtant, entretiennent entre l’aéroport d’Al Hoceima et la montagne une noria humanitaire. Sur la route qui quitte l’aéroport, on remonte une longue file de camions aux couleurs des provinces du pays. C’est la solidarité nationale qui se manifeste ici. Sur le tarmac, un hélicoptère Chinook se pose en soulevant de ses deux hélices un véritable brouillard de poussière. Le moteur d’un autre appareil chauffe déjà. Il part pour le douar d’Aïd Saïd Itjiouan avec à son bord thé, sucre, huile, lait en poudre, tentes et couvertures. Il est accueilli par des villageois qui s’empressent de s’approcher de l’appareil, dussent-ils essuyer le souffle du rotor. Les femmes, elles, restent en retrait, voile et chapeau de paille sur la tête. L’hélicoptère repart. Le survol de la province permet de mieux voir le nombre important de bâtiments encore debout. De colline en colline, la couleur des gravats suit une régularité frappante : un ocre qui fournit le code génétique des victimes favorites du séisme : la pierre et la terre des maisons traditionnelles.

Les habitants de la province avaient protesté, dans les suites immédiates du tremblement de terre, contre les retards de l’aide. L’arrivée du roi Mohamed VI à Al Hoceima a coïncidé avec une intensification de la distribution. A Aït Kamra, par exemple, les tentes ont été livrées dès vendredi soir. Moins nombreuses qu’attendues, mais suffisantes pour que l’on croise des visages satisfaits. La distribution en plus grande quantité de l’aide a aussi lancé les rumeurs sur les détournements. Deux cas ont été établis par les autorités: celui d’un membre du Croissant rouge d’Al Hoceima qui avait fait entrer chez lui un camion de couvertures. Celui aussi d’un élu des environs d’Imzouren. «A un moment donné, au tout début de la crise, il y a eu une certaine désorganisation dans la distribution de l’aide», explique Chaqir Achahbar, le président du parti Attajdid Wal Insaf, que l’on rencontre dans l’ambiance irréelle de ce café d’Imzouren baigné de lumière néon. Selon lui, cette désorganisation, ajoutée à des procédures trop lourdes de distribution de l’aide a permis aux profiteurs de s’infiltrer dans les marges du système «On a effectivement vu des tentes se vendre. J’ai pu constater ça». Sans faire de lien avec les détournements ou les critiques de la population, les autorités annonçaient en fin de semaine une réorganisation de la distribution de l’aide vers une organisation plus décentralisée basée sur 17 comités locaux.

Le roi avait annoncé qu’il viendrait s’installer plusieurs jours dans un campement à Al Hoceima, partager la vie des sinistrés. La tente royale a été installée sur le domaine des eaux et forêts planté d’eucalyptus, de mimosas et de pins. Au dessus du mur d’enceinte, on devine entre les arbres une tente jaune et blanche: c’est tout ce qu’il sera possible de voir. Le périmètre est sécurisé. En plus des traditionnels policiers en uniforme bleu marine et képi, on croise le costume rouge et les chaussures blanches caparaçonnées de la garde royale. Le souverain accorde quelques audiences, il a notamment reçu le sous-secrétaire d’État américain aux affaires politiques, et quand il sort du campement, il part juger sur le terrain des dégâts et de l’action des secours.

Sa présence est un symbole pour de nombreux habitants de la province. «Au travers du roi, il y a tout un État, tout un peuple qui s’intéresse à nous», estime ainsi un habitant d’un village. «Après le séisme, il y a des dégâts pour les vivants, explique Mimoun Sadi que l’on retrouve dans sa tente. Ce sont les choses qui sont psychiques, l’angoisse, l’anxiété. Alors, il faut être avec ses citoyens» Cette fois-ci, c’est le vent qui fait danser l’ombre en faisant vibrer la toile de tente. Il y a bien une chose à laquelle le roi ne peut rien faire, les répliques : «ce sont les choses de Dieu. Nous sommes soumis à notre destin. La présence du roi, ça améliore le moral des citoyens, mais le roi ne peut pas changer le destin». La nature s’en est chargée: ces derniers jours les répliques deviennent de moins en moins perceptibles, ce qui contribue à apaiser les esprits. La pluie en a par ailleurs décidé certains. Elle a transpercé les toiles de tente, mouillé matelas et couvertures. Pour la première fois, des habitants du camp ont décidé de regagner les constructions en dur.



par Laurent  Correau

Article publié le 03/03/2004

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