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Algérie

Six candidats en lice

Six des neuf prétendants à la magistrature suprême ont été retenus le 1er mars par le Conseil constitutionnel. Le 8 avril, le président sortant Abdelaziz Bouteflika sera donc en lice, face à Ali Benflis, son ancien Premier ministre et secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), l’ancien parti unique d’où il a mené la fronde contre le chef de l’Etat. Autres concurrents : l’islamiste Abdallah Djaballah, chef du Mouvement de la réforme nationale (MRN El-Islah), la troisième formation politique du pays ; la trotskiste Louisa Hanoune du Parti des Travailleurs (PT), première femme du monde arabe à briguer la magistrature suprême ; le Kabyle Saïd Sadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et Ali Fawzi Rebaine, président de AHD 54. La principale surprise est venue du rejet de la candidature de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi, dont le parti Wafa n’a pas été agréé par les autorités. L'ancien Premier ministre (1991-1992) Sid-Ahmed Ghozali et le président du Front national algérien (FNA, nationaliste) Moussa Touati ont également été recalés.
En rendant son verdict au journal télévisé de vingt heures, lundi, le Conseil constitutionnel n’a pas publiquement motivé ses choix. On sait en tout cas que les candidats à la présidentielle doivent avoir 40 ans au moins, être de confession musulmane et de nationalité algérienne «d'origine». En outre, pour ceux qui seraient nés avant 1942, les prétendants à la magistrature suprême doivent prouver leur participation à la guerre d'indépendance. Plus difficile : chaque candidat a dû rassembler 75 000 signatures d'électeurs ou 600 paraphes d’élus, dans au moins 25 des 48 wilayas du pays. Pour sa part, le président Bouteflika en aurait obtenu plus de 1,5 million, loin devant Ali Benflis (plus de 200 000 signatures) et Louisa Hanoune ou Saïd Sadi (environ 100 000), Abdellah Djaballah tablant sur les «grands électeurs» dont plus de 600 auraient accepté de parrainer sa candidature.

L’ancien parti unique, le Front de libération nationale (FLN) soutient la candidature d’Ali Benflis, après avoir soutenu celle d’Abdelaziz Bouteflika en 1999. Au passage, la bataille d’éléphants entre le président en titre et son ancien directeur de campagne a quelque peu lézardé le FLN. Mais sa majorité répond aujourd’hui à l’ancien Premier ministre. Limogé avec fracas en mai 2003, Ali Benflis, est depuis lors entré en pré-campagne, en Algérie, mais aussi en Europe, où il vient de terminer une tournée qui l’a conduit de Londres à Bruxelles, Paris et même Lyon.

Le président fondateur (en 1989) du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi fustige durement lui aussi le camp présidentiel, un temps fréquenté malgré son boycott des élections qui ont amené Abdelaziz Bouteflika à la présidence en 1999. Fort de 15 sièges à l'Assemblée populaire nationale et du million d’électeurs recensés à la présidentielle de novembre 1995, le RCD concurrence le Front des forces socialistes (FFS) en terres kabyles. En décembre 1999, il était entré au gouvernement, Saïd Sadi appelant alors à soutenir le président Bouteflika. Aujourd’hui, il entend «faire barrage au hold-up électoral» et milite parmi les dix politiciens du groupe «antifraude».

A l’extrême gauche sur l’échiquier algérien, Louisa Hanoune n’en milite pas moins pour un dialogue sans exclusion. Avec son petit PT, créé en 1990, elle avait préconisé le boycott des législatives de décembre 1991 mais s’était élevée, en janvier 1992, contre l'annulation, en forme de coup d’Etat, du second tour du scrutin favorable au FIS. En 1999, elle n'avait pas réussi à recueillir les 75 000 signatures requises. Cette fois la barre est franchie. Mais entre 1997 et 2002, le PT est passé de trois à 21 sièges de députés.

Si l’on en croit la presse algérienne, le très discret Ali Fawzi Rebaine, le secrétaire général du parti AHD 54, aurait envoyé sa mère retirer son dossier de candidature. Militant des droits de l’homme, il a créé en 1991 l'Association des fils et filles de chahid (martyrs) de la wilaya d'Alger, avant de fonder le parti de AHD 54 qui s’inspire du serment des combattants de la liberté (novembre 1954). Quant au juriste Saâd Abdallah Djaballah, avant d’obtenir la validation du Conseil constitutionnel, il avait remporté une victoire personnelle dans la mouvance islamiste du mouvement Ennahda en créant le Mouvement de la réforme nationale. Son MNR avait rallié une partie de l’électorat de l’ex-FIS, faisant le troisième score aux législatives du 30 mai 2002. L’exclusion du Wafa de Ahmed Taleb Ibrahimi est sans doute plutôt une bonne nouvelle pour lui.

Elimination politique ?

«J'ose espérer que ce n'est pas une élimination politique », commente le directeur de campagne d’Ali Benflis, à propos des recalés du Conseil constitutionnel. Pour sa part, Ahmed Taleb Ibrahimi estimait déjà que «le gouvernement s'est transformé en comité de soutien et la présidence de la République en permanence électorale». Il regrettait aussi que «la neutralité de l'institution militaire, si elle est réelle -et seul le temps se chargera de la confirmer- n'a été profitable jusqu'à ce jour qu'à un seul homme». Malgré cela, il avait décidé de s’engager dans l’élection parce que, disait-il, «l'attitude de spectateur n'est plus permise» dans un contexte où selon lui, «la vie politique, caractérisée par la corruption, est menacée de gangrène, les valeurs morales n'ont plus cours, la prétendue croissance économique se limite à de simples chiffres sans incidences sur la réalité et l'unité nationale est menacée». Le Conseil constitutionnel l’a disqualifié, sans explications particulières. Mais son parti Wafa n’a jamais été reconnu, les autorités estimant que certains de ses fondateurs sont des militants recyclés du Front islamiste du salut (FIS) dissout.

Les menaces de fraudes et de boycottage restent le principal sujet de campagne, en particulier en Kabylie où des émeutes dans la région de Jijel (à 360 kilomètres à l'est d'Alger) ont visé des bâtiments publics, ce week-end, dans le cadre d’une protestation contre l'organisation des bureaux de vote. Le 15 avril 1999, la précédente présidentielle s’était déroulé malgré le retrait, à la veille du scrutin, des six adversaires d’Abdelaziz Bouteflika. En annonçant sa candidature, le 22 février dernier, le président sortant a promis une fois encore un «scrutin régulier, transparent et crédible». Pour preuve de ses bonnes intentions, il a mis sur pied une «commission politique nationale de surveillance des élections». Il a aussi invité publiquement l'administration à la «neutralité» et demandé l'envoi d'observateurs internationaux. Rien de nature à faire taire ses adversaires. Et du côté des âarch (tribus kabyles), le ton est à nouveau au sabotage des élections, après l'échec du Premier ministre Ahmed Ouyahia pour calmer la Kabylie, en ébullition depuis trois ans.

Aux électeurs algériens qui résident dans la métropole française de Lyon, où il était dimanche dernier, le secrétaire général de l’ancien parti unique, Ali Benflis, a demandé de voter pour lui et d’exprimer ainsi «haut et fort votre refus des visions passéistes, des méthodes autoritaires et des visions monopolistiques dans l'exercice du pouvoir». Expliquant que cette campagne «délocalisée» devait lui permettre de «s'exprimer dans les médias auxquels il n'a pas accès en Algérie», les partisans d’Ali Benflis ajoutaient que «les Algériens qui vivent en France sont imprégnés de la culture démocratique française et ne peuvent pas supporter les despotes, alors ils ne vont certainement pas voter pour Bouteflika». Ce dernier sillonne pour sa part l’Algérie où la wilaya d'El-Oued, dans le sud saharien, l’accueillait ce 2 mars. Si l’on en croit l’agence de presse nationale, il s’agissait pour le président de «jauger le rythme de réalisation de divers projets inscrits depuis 1999 tant dans le cadre des programmes ordinaires que dans ceux du soutien à la relance économique ou du fonds national de développement des régions du sud».

Après d’autres wilaya, Abdelaziz Bouteflika est venu mesurer à El-Oued les possibles retours électoraux des «crédits d'un montant global de plus de 26 milliards de dinars, tous programmes confondus» alloués à la région pendant son premier quinquennat. Reste qu’au total, la présidentielle se joue largement en dehors de son bilan, si peu glorieux soit-il.



par Monique  Mas

Article publié le 02/03/2004 Dernière mise à jour le 01/03/2004 à 23:00 TU

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