Afghanistan
L’armée afghane battue à Hérat
«Les combats ont cessé, les forces de l’émir contrôlent la ville», déclarait lundi matin à l’AFP un haut fonctionnaire proche collaborateur du gouverneur. Mais en dépit du retour au calme, les magasins sont restés fermés et dans les rues ne circulaient que des hommes en armes. Une manifestation a également rassemblé lundi matin des milliers de partisans du gouverneur qui s’est lui-même joint au cortège à bord de son véhicule blindé.
Selon une chronologie des événements établie par les agences de presse, le gouverneur de la province a échappé dimanche en début d’après-midi à un attentat et son fils a été tué peu après, ainsi que les trois hommes qui l’accompagnaient, alors qu’ils se rendaient à la résidence du général Nayebzada pour, selon les versions, réclamer des explications ou venger son père. En tout cas la responsabilité du meurtre a été attribuée au commandant de la 17e division par le clan du gouverneur Khan.
A Kaboul, le président Hamid Karzaï s’est déclaré «profondément choqué» par les événements. Il a adressé «ses plus profondes condoléances» au père de la victime et ordonné l’arrestation des responsables. La situation est embarrassante pour le pouvoir central qui entretient des relations très conflictuelles avec le gouverneur d’Herat. On s’interroge actuellement sur la question de savoir si la 17e division, qui obéit à Kaboul, est à l’origine d’initiatives malheureuses dans cette affaire, ou si le gouvernement central est lui-même impliqué dans une tentative de déstabilisation du gouvernorat d'Ismaïl Khan.
L’Etat en échec
Ce dernier a combattu les soviétiques, puis les Taliban, avant de s’emparer d’Herat et sa région et d’exercer, depuis l’automne 2001, un contrôle sans partage sur la province. Nombre d’observateurs estiment que son ralliement au gouvernement central n’est que de pure forme et qu’il est en réalité l’un des principaux adversaires du président Karzaï dont il tente de contourner l’autorité centralisatrice. Son fief, Herat, est une ville de l’ouest afghan, chef-lieu d’une province frontalière avec l’Iran et donc largement ouverte au commerce international dont elle tire sa prospérité.
Les taxes douanières sur le trafic routier, perçues au poste-frontière d’Islam Kala, constituent ainsi une manne financière de première importance entièrement détournée par le clan de l’Emir en dépit des sévères mises en garde de l’administration centrale et de sa volonté d’établir une administration douanière digne de ce nom. Depuis de longs mois, Kaboul et Herat entretenaient donc des rapports plutôt tendus. Le pouvoir central avait notamment tenté de «muter» le gouverneur Ismaïl Khan vers une autre province. Sans y parvenir en raison du refus de ce dernier de se laisser déposséder de la rente de situation qu’offre constitue cette province ouverte sur l’Iran, pays qui apporte une garantie de revenus qu’aucun autre pays de la région n’est en mesure d’offrir.
Les autorités afghanes avaient toutefois réussi, l’année dernière, à interdire le cumul des fonctions civiles et militaires pour les gouverneurs provinciaux. Mais les événements du week-end montrent que l’adoption de cette mesure n’a pas écarté la menace d’un affrontement direct. De plus l’issue de la bataille, avec la défaite des troupes loyales à Hamid Karzaï, affaiblit considérablement l’image du gouvernement central afghan, porte un coup sérieux au projet de construction d’un Etat unitaire et illustre toute la difficulté de l’Afghanistan à remettre en cause les privilèges des seigneurs de la guerre.
par Georges Abou
Article publié le 22/03/2004